Objectif Cinéma : L’animation
serait une sorte de berceau fondateur ?
Iian Nguyên :
C’est difficile à dire. On peut
établir un certain nombre de liens, et il est sûr que les
rapprochements et interférences se multiplient entre les supports
de l’animation, du cinéma, du jeu vidéo, etc. Je crois tout
de même qu’il faut rester sur une définition solide sur ce
qui est du cinéma d’animation et ce qui n’en est pas. Les
différences formelles, fondatrices de ce registre, sont claires.
On sait ce qui fait la spécificité d’un film d’animation par
rapport à un jeu vidéo ou une bande dessinée, ne serait-ce
qu’au niveau du facteur temps qui préside à la construction
d’un film.
Objectif Cinéma :
Il existe une importante prolifération
de séries, qui s’étendent sur plusieurs épisodes et qui sortent
chaque semaine, téléchargeable via certains forums sur le
net. Comment faire le tri ? Comment ces travaux sont-ils
rentabilisés ?
Iian Nguyên :
Toutes ces séries ne se rentabilisent
pas. Il importe de réaffirmer l’énorme volume de la production
japonaise, et que, de ce fait on y trouve des choses très
inégales. Une partie de ces séries est désormais produite
pour une diffusion en toute fin de soirée, ce qui correspond
à un nouveau type de séries : sur ce segment précis aussi,
on trouve nombre de titres diversement mauvais. Aucune catégorie
permet de dépasser ce caractère très inégal sur le plan qualitatif.
Personnellement ce qui m’importe c’est de consacrer, par une
démarche positive, temps et énergie aux titres qui en valent
la peine, quelle que soit leur catégorie.
Objectif Cinéma : Quelles
sont aujourd’hui les possibilités pour un Européen de travailler
dans l’animation, comme le fit David Encinas pour Princesse
Mononoke ?
Iian Nguyên :
Les possibilités d’aller travailler au Japon dans ce domaine
sont minimes. En dehors de ce qui relève de l’infographie,
les Japonais n’ont pas besoin de qui que ce soit. Ils ont
pris il y a fort longtemps l’habitude de travailler par et
pour eux-mêmes (ce qui n’est plus le cas dans ce domaine,
en France, depuis presque aussi longtemps), et tracent leur
propre voie. Le partage des tâches implique une compétence
extrêmement large face au travail d’animation, bien plus importante
que dans le découpage “classique”, à l’américaine. C’est très
difficile pour un animateur n’ayant pas été formé au sein
même de cette production, de travailler à l’intérieur. David
Encinas, qui a travaillé comme animateur clé aussi bien en
France qu’en Chine, qui a supervisé la “fabrication” de production
française de séries, n’a animé que très peu à Ghibli, où il
surtout été intervalliste. C’est dire le décalage…
Bien sûr, du côté de l’infographie,
du fait même qu’il s’agit d’une voie à l’essor très récent,
les choses sont bien moins départagées, et les chances de
trouver d’autant plus grandes…
Objectif Cinéma :
Quel est selon vous l’avenir
de l’animation en France ?
Iian Nguyên :
Il y a sans doute un avenir pour le
cinéma d’animation en Europe à long terme, ne serait-ce que
par le biais du changement de génération, comme ce fut le
cas au Japon. L’animation pourrait faire l’objet d’un regard
plus consistant. À court terme, c’est plus incertain. L’effort
de la distribution et de la critique sont des conditions nécessaires,
mais non suffisantes pour permettre quelque évolution que
ce soit. L’un des facteurs de changement, en dehors d’une
éducation à l’animation, serait par exemple que des distributeurs
puissent prendre et faire accepter suffisamment de risques
pour inverser la vapeur, non seulement dans le choix des films,
évidemment, mais aussi et surtout dans le temps d’exploitation
en salles de ces films. Le destin de Kirikou et la sorcière
montre bien que l’on peut y arriver. Pour le moment, je vois
difficilement comment sortir du modèle disney sans
mettre en place ce type de modalités alternatives, sachant
qu’un face-à-face frontal selon des modalités d’exploitation
identiques n’a virtuellement aucune chance de concurrencer
ce type de productions.
Objectif Cinéma : Il
faudrait donc multiplier les actions, débats et autres manifestations
pédagogiques.
Iian Nguyên :
Le problème c’est qu’on manque
cruellement de prise, de compétences, de gens qui puissent
diffuser une meilleure connaissance. Le réseau des spécialistes
est très ténu et marginalisé (dans le domaine japonais, il
est même inexistant), et son action reste d’une envergure
faible. C’est avant tout de personnes compétentes, d’accès
aux ressources dont on a besoin pour tenter d’élargir un tant
soi peu la perception de ce cinéma.
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