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Mathieu Amalric (c) Julles & Julles PREMIER ACTE
" Pas contemplatif, ton film ?
Mon œil ! "
Entretien réalisé par Benjamin BIBAS
Photos de Julles & Julles


Mathieu Amalric, bonjour. Si Objectif Cinéma se trouve chez vous aujourd’hui, c’est parce que nous avons eu la chance d’assister à l’avant-première de votre film Le Stade de Wimbledon (Sortie en salles : 13 février 2002), au Forum des images à Paris en novembre dernier, et que ce fut un moment rare. Au terme de la projection, vous avez pris la parole et, en quelques mots assez brefs, vous avez évoqué votre œuvre d’adaptation du roman éponyme de Daniele Del Giudice (Rivages, 1985). " J’ai tenu à rester extrêmement fidèle au texte du roman ", avez-vous déclaré, comme si vous n’aviez effectué qu’un travail de transcription d’une écriture à une autre, de transposition d’un langage littéraire à un langage cinématographique.

A vrai dire, je n’y ai pas cru une seule seconde, et c’est ce qui m’a donné envie de vous proposer cet entretien. Je n’y ai pas cru, parce que le mode de narration déployé dans votre film m’a paru singulier, proprement cinématographique et ce, notamment en raison d’une histoire de temps.

  Le Stade de Wimbledon (c) D.R.

Votre film se déroule sans heurts, en toute fluidité, dans une continuité de tous les instants (au sens mathématique du terme : on a l’impression qu’il n’y a pas d’inflexion dans la narration). Mais cette continuité, pour être narrative, n’est en rien chronologique : le film est découpé en quatre grandes séquences espacées de plusieurs mois, relatant chacune une journée à Trieste lors d’une saison particulière. Il s’agit plutôt d’une continuité dans la quête de la narratrice, qui est aussi le personnage principal, et qui recherche dans tout Trieste les traces d’un écrivain qui n’aurait jamais écrit. Une continuité étrange, qui se traduit plutôt à travers des interrogations réflexives et itératives, qui se conjuguent succesivement au passé et au présent.

Notamment, il y a cette scène de l'été où la narratrice (Jeanne Balibar) dérive au fil de l’eau, allongée sur sa planche à voile, alors que sa voix off commente l’état de ses recherches sur cet écrivain qui n’a jamais écrit. Puis une autre scène se déroule, filée à la précédente, avec d’autres recherches dans Trieste et qui amènent, en quelques secondes, Jeanne Balibar à se retrouver en maillot de bain sur une planche à voile, et à dériver à nouveau au fil de l’eau. La bobine a un peu tourné, un peu de temps de film s’est écoulé mais à son terme, la narratrice se retrouve au moment chronologique initial du récit. Alors même que le récit lui-même ne s’est pas arrêté….

Mathieu Amalric (c) Julles & Julles

Je l’avoue, j’ai cru qu’il était impossible d’obtenir cet effet, ce tour du magie en littérature (mais je lis peu de romans, il est vrai…). J’ai pensé que seule l’écriture cinématographique, audiovisuelle et, peut-être demain, multimédia, permettait d’obtenir ce type d’œuvres continues dans le récit et discontinues dans le temps, grâce à des procédés comme la voix off ou le montage. Il m’a semblé impossible que vous ayez pu à la fois " être fidèle au texte du roman " et faire ce film-là. Et j’ai donc eu envie de vous demander : honnêtement, Mathieu Amalric, n’avez-vous pas mis en place un mode de récit que le cinéma permet, et que le seul texte ne permet pas ?

Mais avant de vous interroger à ce sujet, il m’a bien sûr fallu lire le roman ; ce que j’ai fait. Et, d’emblée, j’ai réalisé que je m’étais trompé, qu’on y retrouvait exactement le même mode narratif que dans votre film. Quoique… Exactement, c’est beaucoup dire. Disons simplement que le montage d’un plan à un autre est remplacé, dans le roman de Daniele del Giudice, par un procédé plus invisible : le simple passage à la ligne, d’un paragraphe à un autre. Et ce qui m’a frappé, dans ce livre, c’est tout autant cette impression de fluidité ; tous ces passages, constants et imperceptibles, d’un paragraphe où le narrateur décrit ses états d’âme longuement, au présent – c’est la lenteur, le rythme de la pensée -, à un autre paragraphe où il raconte ses actions, rapidement, au passé.






(c) Objectif Cinéma - 2000 / 2002