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Mathieu Amalric (c) Julles & Julles

Il y aurait donc, dans votre film, la conjonction de ce qui est du domaine de la pensée, de la lenteur, de la méditation et en même temps de ce qui est du domaine du temps vite, de la succession rapide des idées et des événements. Et ce paradoxe nous intéresse, car il semble dénouer une problématique très contemporaine : comment écrire, comment réintroduire un moment de contemplation à partir de l’expérience d’une vie quotidienne aujourd’hui très majoritairement urbaine, marquée par la rapidité des déplacements, par l’instantanéité des communications et d’où toute expérience de lenteur (de rapport au paysage, par exemple) semble avoir disparu ?

Mathieu Amalric, j’aimerais terminer cette apostrophe par une dernière remarque. Votre film se regarde comme on écoute un poème, donc, et l’auditeur n’a pas en tête " l’idée de connaître la fin ". Il s’agirait donc d’un film dont la fin importerait peu, un peu comme en écho à la phrase du narrateur, dans les dernières pages du roman : " Je n’avais jamais été aussi près de la réponse, et jamais non plus si indifférent à la question ". Une phrase qui pourrait d’ailleurs en quelque sorte résumer tout le roman, mais aussi tout le film (un moment, j’avoue, j’ai cru que vous aviez gardé cette phrase dans le film).

Pourtant, dans votre film, vous avez coupé la fin du roman. Vous faîtes s’arrêter la séquence finale, à Londres, au moment de la contemplation du court central de Wimbledon, alors que dans le roman, il y a encore tout un dialogue entre le narrateur et une vieille femme, Ljuba. Et puis cet épisode où il repart avec un pull qui a appartenu à l’" écrivain qui n’a jamais écrit ". Pourquoi ce choix de faire disparaître ces scènes ? J’aimerais que l’on parle un peu de la fin, somme toute bien tranchée, de ce film dont la fin importerait peu.

  Le Stade de Wimbledon (c) D.R.

Enfin, je vous ai cité une phrase issue du livre, et qui pourrait résumer le film. A l’inverse, je suis certain qu’on pourrait trouver des scènes du film qui pourraient résumer le livre. La toute première scène par exemple, et cette histoire de train qui n’arrive pas à sa destination, Trieste. C’est un peu l’annonce d’une quête avortée, non ? Un train qui n’arrive pas, un écrivain qui n’écrit pas… Je pense aussi à tous ces passages filmés à Trieste, que vous avez par ailleurs qualifiée de " ville du passage ". Et ces interrogations constantes sur l’essence d’un auteur : faut-il la chercher dans sa vie ou dans son œuvre ? Là, on rejoint votre propre manière de tourner : en quatre passages successifs à Trieste, exactement comme la narratrice part à la recherche de l’écrivain.

Une scène semble englober une œuvre entière, et une œuvre semble s’identifier à tout une démarche d’auteur. C’est étrange, non, cette perméabilité entre le livre, le film, le tournage, une seule des scènes et le film entier lui-même ?… On dirait une sorte d’œuvre ouverte où une narratrice en quête d’écrivain devient elle-même écrivain, par sa seule quête ; et voilà toute l’histoire (’’That’s all folks !’’). Une histoire qui vous est arrivée à vous aussi, en faisant ce film simplement à partir d’un roman. Vous avez eu cette crainte, cet effroi peut-être, vous avez dit vous-même : " Mince, je vais faire un film sur rien ". Peut-être, oui, vous l’avez fait, vous avez su mettre en forme ce film dont le sujet est un abysse et dont il ne reste sans doute, in fine, que ce qui en fait la puissance et la beauté : son écriture…

Qu’en pensez-vous ?







(c) Objectif Cinéma - 2000 / 2002