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Mathieu Amalric (c) Julles & Julles DEUXIEME ACTE
" A movie picture is a girl
and the sun "
Entretien réalisé par Benjamin BIBAS
Photos de Julles & Julles


Mathieu Amalric : J’ai envie de rebondir sur certaines de vos remarques, un peu comme sur la couverture du livre que j’avais, et que l’on m’a d’ailleurs volé avec toutes mes notes trois jours après le mixage du film. Cette couverture représentait la pelouse verte d’un coin du court de Wimbledon, avec une balle qui rebondissait juste derrière la ligne blanche, faute. Et cette image a dû me marquer presque autant que la phrase de quatrième de couverture : " un homme part sur les traces d’un écrivain qui n’a pas écrit ".

  Vertigo (c) D.R.

C’est ce paradoxe qui nourrit toute l’œuvre, c’est une sorte de puits sans fond qui m’a fait penser à Vertigo (Sueurs froides, 1958), d’Alfred Hitchcock. Si je devais refaire le film aujourd’hui, il aurait probablement gagné à ce que je n’oublie pas tant Vertigo en route. C’est toujours cette impression d’angoisse, de peur, de vertige… La narratrice - car Jeanne, en effet, est un peu une narratrice - devient plutôt un personnage à la fin. Et c’est à partir de là, seulement, que je me suis autorisé à m’éloigner du roman, sur la partie londonienne.

C’est drôle, je vous entends parler de cette histoire de pull à la fin, et je me dis " Mince ! Pourquoi ai-je enlevé ce truc du pull ? "… Peut-être parce que j’ai tout fait au dernier moment. Ou alors, peut-être, j’ai eu peur de la sensiblerie. C’est très difficile de filmer une veille dame qui donne un pull à une jeune femme, sans que cela fasse un peu relique. Il y avait quelque chose que je n’ai pas trouvé, là… Alors que vraiment, cette dernière phrase du roman, quand le narrateur tient dans sa main le pull " comme on tiendrait un enfant "… Le dernier mot du livre est " enfant " ; c’est quelque chose qui m’a bouleversé quand je l’ai lu pour la première fois.

Sur la fin, c’est étrange, comme vous dîtes… Le film est court (1h12) mais il apparaît plus long. Après l’avoir vu, tout le monde pense qu’il dure environ 1h30. On a même menti longtemps en disant qu’il faisait 1h23, et personne ne nous a posé la question… Mais là encore, je peux dire que j’ai été fidèle au roman qui est très bref. Et tout de suite, j’ai senti que c’était justement par sa brièveté qu’il m’avait transpercé.

Mathieu Amalric (c) Julles & Julles

C’est cette espèce de mystère, d’objet hybride, qui pourtant est un roman plein d’air, plein de trous, notamment dans le temps qui s’écoule entre chaque journée. D’ailleurs, il y a quelque chose que je n’ai pas réussi à bien restituer dans le film, c’est que la narratrice, à chacune des quatre saisons, ne passe qu’une journée à Trieste. Elle arrive le matin, et elle repart le soir-même. Pour moi, il s’agissait d’une femme pressée, qui a beaucoup de choses à faire dans la journée mais qui ne veut pas dormir dans cette ville.

Il y a une phrase qu’on a laissée en voix off, une phrase extrêmement troublante dans la lecture du roman : " Et pour la première fois dans ce livre, je m’endors dans un vrai lit ". C’est au moment où la narratrice – pardon, le narrateur, je ne sais déjà plus si je parle du film ou du roman – arrive à Londres, où il passe deux jours. Et on le voit dormir. Et là, on se demande ce qui se passe, et qui raconte ce truc : " Ah, ce n’est plus le narrateur qui parle, c’est maintenant l’auteur, donc le narrateur est devenu écrivain. Et le livre que je suis en train de lire n’est pas le livre de Daniele Del Giudice, c’est le livre de quelqu’un qui s’est découvert écrivain, ou qui a vérifié son désir d’écrire ". Il y a là comme une structure cyclique, que j’ai failli reprendre.






(c) Objectif Cinéma - 2000 / 2002