Mathieu Amalric :
J’ai envie de rebondir sur certaines
de vos remarques, un peu comme sur la couverture du livre
que j’avais, et que l’on m’a d’ailleurs volé avec
toutes mes notes trois jours après le mixage du film.
Cette couverture représentait la pelouse verte d’un
coin du court de Wimbledon, avec une balle qui rebondissait
juste derrière la ligne blanche, faute. Et cette
image a dû me marquer presque autant que la phrase
de quatrième de couverture : " un
homme part sur les traces d’un écrivain qui n’a pas
écrit ".
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C’est ce paradoxe qui
nourrit toute l’œuvre, c’est une sorte de puits sans fond
qui m’a fait penser à Vertigo (Sueurs froides,
1958), d’Alfred Hitchcock. Si je devais refaire le film
aujourd’hui, il aurait probablement gagné à
ce que je n’oublie pas tant Vertigo en route. C’est
toujours cette impression d’angoisse, de peur, de vertige…
La narratrice - car Jeanne, en effet, est un peu une
narratrice - devient plutôt un personnage à
la fin. Et c’est à partir de là, seulement,
que je me suis autorisé à m’éloigner
du roman, sur la partie londonienne.
C’est drôle, je
vous entends parler de cette histoire de pull à la
fin, et je me dis " Mince ! Pourquoi ai-je
enlevé ce truc du pull ? "… Peut-être
parce que j’ai tout fait au dernier moment. Ou alors, peut-être,
j’ai eu peur de la sensiblerie. C’est très difficile
de filmer une veille dame qui donne un pull à une
jeune femme, sans que cela fasse un peu relique. Il y avait
quelque chose que je n’ai pas trouvé, là…
Alors que vraiment, cette dernière phrase du roman,
quand le narrateur tient dans sa main le pull " comme
on tiendrait un enfant "… Le dernier mot du
livre est " enfant " ; c’est
quelque chose qui m’a bouleversé quand je l’ai lu
pour la première fois.
Sur la fin, c’est étrange,
comme vous dîtes… Le film est court (1h12) mais il
apparaît plus long. Après l’avoir vu, tout
le monde pense qu’il dure environ 1h30. On a même
menti longtemps en disant qu’il faisait 1h23, et personne
ne nous a posé la question… Mais là encore,
je peux dire que j’ai été fidèle au
roman qui est très bref. Et tout de suite, j’ai senti
que c’était justement par sa brièveté
qu’il m’avait transpercé.
C’est cette espèce
de mystère, d’objet hybride, qui pourtant est un
roman plein d’air, plein de trous, notamment dans le temps
qui s’écoule entre chaque journée. D’ailleurs,
il y a quelque chose que je n’ai pas réussi à
bien restituer dans le film, c’est que la narratrice, à
chacune des quatre saisons, ne passe qu’une journée
à Trieste. Elle arrive le matin, et elle repart le
soir-même. Pour moi, il s’agissait d’une femme pressée,
qui a beaucoup de choses à faire dans la journée
mais qui ne veut pas dormir dans cette ville.
Il y a une phrase qu’on
a laissée en voix off, une phrase extrêmement
troublante dans la lecture du roman : " Et
pour la première fois dans ce livre, je m’endors
dans un vrai lit ". C’est au moment où
la narratrice – pardon, le narrateur, je ne sais déjà
plus si je parle du film ou du roman – arrive à
Londres, où il passe deux jours. Et on le voit dormir.
Et là, on se demande ce qui se passe, et qui raconte
ce truc : " Ah, ce n’est plus le narrateur qui parle, c’est maintenant l’auteur, donc le narrateur
est devenu écrivain. Et le livre que je suis en train
de lire n’est pas le livre de Daniele Del Giudice, c’est
le livre de quelqu’un qui s’est découvert écrivain,
ou qui a vérifié son désir d’écrire ".
Il y a là comme une structure cyclique, que j’ai
failli reprendre.