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Et après ça, j’ai été plus rassuré, plus serein. Parce que nous avons eu la chance de pouvoir prémonter entre chaque partie, ce qui a été très important. Peu à peu, nous avons été amenés à réagir non plus au roman, mais au film en train de se faire. Et puis cela a été la sensation, toujours. Je voyais Jeanne écoutant ces gens, et je m’intéressais à où cela allait chez elle. Que va-t-elle en retenir ? Que va-t-elle en faire ? J’avais l’impression que tout le suspense était là. Cette simple interrogation me suffisait.

  Mathieu Amalric (c) Julles & Julles

Quand on a fini Trieste, et juste avant d’aller à Londres, j’ai commencé à montrer ce pré-montage à des amis, et ils m’ont demandé de quoi j’avais envie, ensuite. Je leur ai répondu que je voulais alors quitter le prétexte de Jeanne questionnant des gens sur un écrivain qui n’a pas écrit, et que je voulais maintenant me focaliser sur elle.

Ce n’est pas le cas du roman, je crois. Dans le roman, la partie londonienne se constitue surtout de deux grands entretiens avec Ljuba, et on ne sort pas vraiment de la logique d’enquête sur Balzen qui a prévalu à Trieste. J’ai inversé cela. Je voulais que Jeanne ne soit plus questionneuse, mais qu’elle ait déjà butiné sa matière et que, en arrivant à Londres, elle ait déjà écrit. D’où le fait d’avoir filmé cette enveloppe brune, contenant le texte qu’elle donne dans le film à Ljuba.

Alors que, en lisant le roman, on a concrètement le résultat de cette écriture dans la main : le livre lui-même. Mais dans un film, cela ne marchait pas, sauf à faire de la narratrice une réalisatrice de film qui aurait projeté son propre film à la fin du film… chose que j’ai failli faire à un moment.


Objectif Cinéma : Vous avez écrit les scènes précisément à l’avance ?

Mathieu Amalric : Oui, assez. Mais nous n’avons pas fait de storyboard a priori. Il y avait une improvisation préalable, au moment où nous arrivions dans un endroit pour tourner. Nous avions très peu de pellicule, mais nous avions tout de même du temps. En équipe réduite de cinq ou six, nous tournions sans lumière à l’aide d’une espèce de pied à roulette. Avec Christophe Beaucarne, le chef-opérateur, nous nous en servions pour chercher, pour tourner autour du sujet à filmer.

Repérages pour Le Stade de Wimbledon (c) Mathieu Amalric

Nous cherchions la densité du plan, encore une fois pour éviter la… pas la contemplation bien sûr, car évidemment c’est un film contemplatif, évidemment ! Mais justement, parce que je savais que c’était un film sur la contemplation, je voulais le raconter dans un genre policier, dans un rythme inverse. Je voulais faire du contrepoint, constamment. D’ailleurs, Christophe avait fait énormément de publicité auparavant. Je ne parle pas de l’esthétique, mais de la densité assez impressionnante qui existe parfois dans certaines publicités où, en trente secondes, une chose bien précise est racontée. Je cherchais cette densité-là. Parce que le roman aussi est comme ça.

Donc tout ceci avait à voir avec de l’improvisation. On ne savait rien avant, on cherchait, on plaçait les acteurs. Et, à un moment, on trouvait la bonne géométrie. On faisait une ou deux prises seulement, il y avait très peu de pellicule. Et à partir de là, c’était forcément très précis.

A la fin de chaque séquence, on faisait des plans-mémoires, c’était devenu un rituel : on refaisait exactement le même trajet que le personnage dans le livre, on vivait d’abord les choses et puis ensuite, on tournait le plan qui résumerait le mieux le souvenir du plan qu’on venait de tourner. Et des fois, c’était rien. Par exemple, pour la scène de la bibliothèque, c’était juste le plan du casier vide, qu’on finalement gardé au montage. D’ailleurs, les affichistes m’ont déclaré qu’il avaient l’impression que leur travail était déjà fait, que dans le film il y avait déjà une synthétique des plans.

  Mathieu Amalric (c) Julles & Julles

En fait, j’ai écrit deux scénarios. Le premier, je vous en ai parlé, pour dégager l’action. Et ensuite une seconde version, encore plus épurée, ce qui était bien aussi, ce qui me permettait de travailler la vitesse, pour toucher une subvention du CNC. Et ça, c’est chouette, c’est important. Le cinéaste n’est pas comme l’écrivain seul devant sa page blanche, le cinéma coûte beaucoup d’argent, il faut donc passer par l’accord d’instances, de financeurs.

Je devais donc écrire quelque chose qui donne l’impression que c’était un film " normal ", avec de l’action. Un film qui ne serait pas intello. Car je savais qu’on allait me casser les pieds avec ça. Qu’on me dirait que c’est un film littéraire. En fait, je trouve formidable de se mettre dans la situation de l’arnaque, c’est-à-dire de chercher à écrire quelque chose qui ressemble d’emblée à du cinéma, et pas à de la littérature. Je devais passer par le CNC, et je sais que cela m’a servi énormément à trouver le cinéma.






(c) Objectif Cinéma - 2000 / 2002