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Objectif
Cinéma : Lorsque
cette femme apparaît seule dans une eau bleutée,
elle semble être une sorte d’image initiale, une icône
vide d’identité, une créature des premiers temps
à qui le film va donner corps.
Brian de Palma : Cette femme
revêt des masques différents qui sont autant
de moyens de parvenir à ses fins. Elle commence par
séduire le photographe pour mettre la main sur les
bijoux. C’est en tout cas ce que le public est censé
penser. On la retrouve plus tard sur les marches d’une église,
portant une perruque noire, car elle a dû changer d’apparence
pour semer ses poursuivants en attendant de se procurer un
passeport et de quitter le pays. Elle se fait photographier
par Antonio, puis elle voit cette blonde qui est son portrait
craché. Elle opère alors une nouvelle transformation
et se fait blonde à nouveau : la perruque noire
lui a permis de pénétrer aux Etats-Unis, mais
désormais elle est quelqu’un d’autre, c’est-à-dire
la femme de l’ambassadeur. Elle se retrouve ensuite confrontée
à un problème quand l’ambassadeur retourne en
France, même s’il ne faut pas perdre de vue que tout
ceci n’est qu’un rêve, le fruit de son imagination.
Elle commence alors à jouer ce rôle d’épouse
d’ambassadeur battue et asthmatique afin de se mettre Antonio
Banderas dans la poche. Elle a une multitude d’identités
différentes.
Objectif Cinéma :
Un autre changement notable est la
place accordée au rêve…
Brian de Palma : Où
commence-t-il selon vous ? Je vous pose la question,
car si on ne perçoit pas cela, le film est terriblement
déroutant.
Objectif Cinéma :
Le rêve débute quand
elle est dans son bain, non ?
Brian de Palma : Exactement.
Objectif Cinéma :
Cette longue séquence onirique
semble être pour vous un pur moment de divertissement,
un espace privilégié où vous vous sentez
libre d’exprimer tous vos désirs, vos pensées,
vos sentiments. On sent que vous vous êtes véritablement
amusé.
Brian de Palma : Tout à
fait. L’histoire de cette femme qui mène un homme à
sa perte est drôle à raconter, et c’est ce qui
m’a poussé à faire le film.
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Objectif
Cinéma : Ce film
marque-t-il le passage d’une esthétique maniériste,
celle de Body Double par exemple, à une esthétique
post-maniériste ? Le considérez-vous comme
une sorte d’aboutissement ?
Brian de Palma : Il y a indéniablement
des similarités entre ce film et certaines de mes œuvres
précédentes, mais à un niveau inconscient.
Cela paraît assez évident, dans la mesure où
c’est moi qui les ai réalisés et y ait imposé
mes choix. De là à dire que ce film est une
sorte de sublimation inconsciente de tout ce que j’ai pu faire
jusque-là, non. Je me suis simplement efforcé
de travailler dans le cadre des règles que je m’étais
fixées, c’est-à-dire raconter une histoire " noire "
à l’intérieur d’une longue séquence onirique.
Objectif Cinéma :
Ce film est-il le rêve final
qui couronne votre œuvre ?
Brian de Palma : Non. Que ce
soit bien clair : il est très difficile de réaliser
un film noir en 2002, car ce genre a été créé
dans les années quarante/cinquante et le contexte d’aujourd’hui
est très différent. Aujourd’hui si l’on met
en scène une pièce de Molière, on peut
le faire de façon très classique ou décider
d’apporter une touche moderne. Beaucoup de gens vont dire
du personnage que j’ai créé que ce n’est pas
une femme moderne. Ils auront peut-être raison, mais
cela ne m’empêche pas d’avoir le droit de m’amuser avec
ce personnage, et de me poser la question de savoir comment
le faire fonctionner dans la situation actuelle. J’ai essayé
de l’intégrer dans ma conception personnelle du film
noir, qui pour moi est une sorte de cauchemar. J’ai donc fait
du film noir un cauchemar filmé, ce qui explique le
rôle prépondérant du rêve dans le
film.
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