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Objectif Cinéma : Inugami est votre premier film fantastique ?

Masato Harada : Thématiquement, Inugami est ma première incursion dans le fantastique ( horror-fantasy ), mais j’ai déjà utilisé des procédés fantastiques dans mes films précédents. Cependant, si vous abordez les aspects fantastiques de Inugami d’un point de vue rationnel, ce qui est profondément horrifique dans le film, c’est le pouvoir absolu que possède le chef de famille… Et vivre au Japon aujourd’hui est une expérience horrifique !


Inugami (c) D.R.

Objectif Cinéma : Le genre se prête donc à la subversion ?

Masato Harada : Parfois oui. Parce qu’au Japon, vous ne pouvez pas faire un film sur la vie politique, sur un Premier ministre corrompu…C’est impossible. Une approche réaliste est trop dangereuse, donc il faut passer par une approche métaphorique.

Dans le livre, l’auteur se référait à la famille royale du Japon. J’en ai discuté avec elle, afin de prévenir les réactions possibles tout en en gardant la teneur. J’ai ainsi modifié la fin, qui est différente de celle du livre. L’auteur m’a encouragé dans cette voie ; mais malheureusement, le public japonais n’a pas du tout perçu la satire.


Objectif Cinéma : Quelle a été la réception du film au Japon ?

Masato Harada : Personne n’a vu le film ! (rires). Inugami est un film à petit budget, dont nous avons tiré le maximum. Le budget était de 1,5 million de dollars, ce qui le place juste en dessous de la moyenne. Il a été produit, basiquement, comme une série B d’horreur. Les acteurs et l’équipe technique ont travaillé très dur pour en faire un film de cette qualité ; malgré ce budget aussi petit, le film a l’air d’en avoir coûté le double.

Quand il est sorti dans le circuit " double-programme ", le public jeune, qui attendait des histoires de têtes coupées etc. ne comprit pas le film ; ils étaient décontenancés ! Puis, un certain nombre de cinéphiles allèrent voir Inugami, et l’apprécièrent, mais ils étaient trop peu. Et le film a quitté l’affiche.

Je ne m’explique pas que tant de critiques n’aient pas du tout parlé de ce film : il a été traité comme s’il n’existait pas. Les Japonais ont l’habitude de traiter par le silence ce qui les dérange : on l’ignore, c’est tout. C’est exactement comme le sort réservé par la société aux Japonais coréens : ils ont été traités en " invisible ". Dans mon cas, j’ai été traité comme un " invisible ", un cinéaste invisible !


  Bounce-Ko Gals (c) D.R.

Objectif Cinéma : Mais vos films ont une certaine notoriété en Occident, bien qu’en France on ne les voie pas…

Masato Harada : Quand Inugami a été présenté à Berlin, les réactions ont été formidables ; ça a été un des moments les plus enthousiasmants de ma carrière, même si les réactions critiques étaient partagées. Mais au moins, même quand les critiques n’ont pas aimé le film, ils l'ont dit. Au Japon, personne n’a rien écrit. C’est la grosse différence.

Les critiques ont donc rapidement oublié celui-ci, pour parler du prochain. Quand je réalise un film " accrocheur ", comme Spellbound (6) ou Bounce-Ko Gals (7), il est acceptable pour ces gens. Mais pas Inugami. Ce genre de traitement me frustre.


Objectif Cinéma : Vous évoquiez les préjugés envers les Coréens. Mais il y a eu des films sur ce sujet, Go de Isao Yukisada (cf. entretien de Stephen Sarrazin), par exemple.

Masato Harada : Mais Go est une comédie. Ce type de problème a toujours existé au Japon. Aujourd’hui, on évoque les rapports entre Japonais et Coréens, mais par le biais de la comédie. Mais si par exemple vous imaginez un film de Samurais, prenant comme point de vue celui d’un esclave coréen, alors là on vous répond non. Il est impossible de faire un tel film au Japon, parce que " l’invisibilité " des Coréens existe toujours. Il y a pourtant un certain nombre de grands faits impliquant Coréens et Japonais, mais qu’il n’est possible d’aborder que d’une certaine façon, et dans certains genres.