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Objectif Cinéma :
D’où vous vient l’idée
du " faux-documentaire " pour Mémoire
Morte ?
Frank Chiche : Le film
est l’histoire d’une jeune femme qui vit une expérience
scientifique dans un appartement ; dès lors, il
était naturel d’utiliser des caméras de surveillance.
Mon point de vue était celui des observateurs, des
scientifiques. Mais comme ces caméras ne peuvent pas
tout filmer, un journaliste, avec sa propre caméra,
filme la jeune femme à chaque minute, pour capter quelque
chose de supplémentaire.
Tous les procédés de filmage sont donc liés
principalement à l’histoire, et non pas à la
volonté de faire juste tel plan ou tel mouvement de
caméra. On a donc tourné tel qu’il me semblait
que les choses devaient se passer dans la réalité,
et les obstacles ont, en quelque sorte, rendu très
simple le découpage du film.
Il y avait une sorte d’évidence, peut-être parce
que j’essaie depuis longtemps de monter ce projet : le
scénario que nous avons tourné est la 14e
ou la 15e mouture. Pourtant on a tourné
en plans-séquences, et c’est au montage que s’est fait
le gros du travail ; mais le film existait clairement
dans ma tête.
D’autre part, je suis tombé sur une équipe totalement
acquise au film, c’était pour moi une condition sine
qua non de participation : que tout le monde, acteurs,
techniciens, ait lu le scénario avant d’accepter le
travail. Dans notre économie de moyen (420 000 Euros),
la motivation et le désir de participer étaient
indispensables.
Objectif Cinéma :
Votre film entre en résonance
avec les pratiques télévisuelles actuelles.
Mais le projet remonte à quelques années déjà.
Qu’est-ce qui a déclenché l’idée de ce
film ?
Frank Chiche :
Les premières images viennent des films de Jean-Teddy
Philippe, Documents Interdits, une série
de petits courts-métrages diffusés, il y a très
longtemps sur la Sept. Ils se présentaient comme de
faux documentaires, évoquant des situations totalement
fantastiques et impossibles, du paranormal à l’étude
des robots etc… Ces films étaient diffusés sans
préambule. Le procédé de narration était
celui du documentaire, c'était des sortes de petit
Blair Witch Project avec 20 ans d’avance, et beaucoup
plus aboutis. Mais là où Jean-Teddy s’inscrivait
dans une espèce de huis-clos, moi j’avais envie d’inscrire
l’histoire dans un univers tout à fait réel,
quotidien, accessible aux uns et aux autres.
Je suis plutôt téléphage et cinéphage.
Je suis intéressé par le fait que les gens puissent
décrypter les images : il n'y aura plus aucun problème
à partir du moment où un spectateur sera tout
à fait capable de comprendre que l’image qu’il a en
face de lui n’est pas une vérité définitive.
C’est par la connaissance que vient le recul sur les choses.
Je souhaite accompagner le spectateur, lui faire prendre de
la distance et lui donner le plus souvent possible des codes
qui lui permettront de devenir critique vis-à-vis des
images.
Aujourd'hui, les médias sont plutôt gouvernés
par des ambitions économiques et financières,
et la priorité des grands groupes n’est pas d’éduquer
le spectateur. Alors quand ils se rendent compte que le spectateur
fuit le quotidien de l’autre, et qu’ils installent des caméras
dans un appartement, alors ça fait péter l’audimat
comme jamais ça n’était arrivé. Et
comme ça marche, ils n’ont même plus besoin de
justifier l’intérêt de ce genre d’émission.
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Objectif Cinéma :
Quel était le dispositif de tournage ?
Frank Chiche :
Nous avions un plateau où il était permis de
tourner à 360°. J’avais 3 caméras, en simultané,
et selon le nombre d’axes de la séquence, il fallait
rejouer la scène.
Pour pouvoir travailler librement la mise en scène,
la technique devait mettre en place le dispositif adéquat :
je ne voulais qu’on me dise, " ok, bouge le décor,
on passe au champ-contrechamp ! " Et comme
nous n'avions pas beaucoup de temps, j’ai placé la
barre très haut en tournant en plan-séquence,
dans la continuité, quitte à rejouer la scène
plusieurs fois.
Pour les comédiens, et particulièrement Delphine
Chuillot, la durée de la séquence était
nécessaire pour faire exister son personnage :
il fallait qu’elle se nourrisse de la durée. Pour obtenir
une émotion amoureuse par exemple, il faut que le comédien
puisse se nourrir de la séquence; par contre, il ne
se nourrit pas de la caméra placée à
trente centimètres de lui…
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