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Thomas Salvador : L’entremêlement du brin d’herbe est drôle en soi mais ne fait pas rire parce qu’il est intégré au geste du laçage. J’aurai pu gagner beaucoup de spectateurs en faisant un truc plus drôle, davantage mis en scène en tant que gag, mais cela ne m’intéresse pas. Dans le premier film, il en va de même avec la scène du cigare. C’est quelque chose d’incongru et de presque débile. Le jeune homme apprend très sérieusement à faire passer un cigarillo d’un côté à l’autre de sa bouche, mais comme je pense avoir filmé la concentration du jeune homme, son rapport à l’autre, beaucoup plus que l’anecdote du cigare, cela ne fait que rarement rire. Dans la dernière séquence, des sculptures ont été fabriquées, mais je ne les filme jamais dans le détail, on ne les voit que de loin. Des gens parlent de moteurs et d’autres de sculptures, on ne sait pas ce que c’est, mais elles ont été très travaillées parce qu’elles " jouent un véritable rôle ". Mais je ne me suis jamais dit qu'il fallait les mettre en valeur plus que l’action ne l’imposait, sous prétexte de ce travail de fabrication.


  Une rue dans sa longueur (c) D.R.

Objectif Cinéma : Tes courts métrages font partie de cette catégorie des films qui ne se révèlent pas dans l’instant...

Thomas Salvador
: Certains spectateurs rejettent mes films parce qu’ils les ont dérangés. Or, quand quelque chose dérange, cela signifie qu’une relation s’est créée avec le spectateur. Simplement je ne prends pas les spectateurs pour des aveugles ou des sourds et j’ai confiance dans leur capacité d’entendre au-delà ou de voir plus loin que ce que les images offrent dans un premier temps, même si cette conduite est utopiste...


Objectif Cinéma : Tes films sont très différents de la production française courante de courts métrages...

Thomas Salvador : Mes deux films proposent effectivement des modes de narration singuliers. On me parle notamment de leurs fins abruptes, mais je pense que conclure peut s'apparenter aussi à ouvrir.

Dans la dernière séquence d’Une rue dans sa longueur, les personnages posent leurs outils, se frottent les mains, puis le jeune homme se tourne ensuite vers ce qu’il a à faire, son travail, son avenir. Pour moi il s’agit d’une fin véritable. Après tout ce qu’il a vécu en peu de temps, le jeune homme, comme le spectateur peut-être, a besoin de se retrouver seul, je le laisse donc sans insister plus. C’est la même chose pour Là ce jour. Les dernières images du film, c'est un regard qui s’élève, puis le ciel, la nature, les immeubles : il y a là une synthèse de pas mal de choses. Ce dernier plan du jeune homme, c’est presque un sourire : il se redresse, s’ouvre, il se passe quelque chose, il n’est pas tout seul, il y a un peu d’espoir... Ça ne me semble pas abrupt.


Thomas Salvador (c) David Lombourg

Objectif Cinéma : On peut comprendre tout de même que des spectateurs soient déconcertés par tes films...

Thomas Salvador : J’ai parlé l’autre jour avec un musicien qui venait de voir le film. Cette personne ne voit jamais de courts métrages et va très peu au cinéma. Il me disait avoir aimé mon film et avoir été touché par certains aspects, tout en ayant été gêné de ne pas tout comprendre. Quand je lui ai répondu que ce qu’il avait retenu du film était l’essentiel et que ses remarques, qu’il croyait peu pertinentes, visaient juste, il a reconnu que sa gêne provenait finalement de la surprise qu’il avait eue face à ce film qui lui avait en quelque sorte " parlé " tout en ne racontant " rien ".

Dans Une rue dans sa longueur, il y a un monologue très écrit, très travaillé. Certains spectateurs vont être immédiatement très en phase avec le texte, alors que d’autres, à la même projection, vont dire qu’ils n’y comprennent rien. Certains parleront d’une logorrhée, d’autres vont saisir la construction du discours, avec ses digressions, ses inventions etc. Seule compte pour moi la volonté d’en exprimer l’essence par des moyens discrets et pourquoi pas sophistiqués... Dans le cas de ce monologue, il est clair qu’il est question d’une incitation à l’action personnelle.