Objectif Cinéma
: Avec qui avez-vous fait votre apprentissage ?
Jean-Pierre Lelong : La
personne s’appelle Robert Pouret.Il est maintenant
metteur en scène, il a fait cinq long-métrages,
et une dizaine de téléfilms comme réalisateur,
et il est désormais proche de la retraite. J’ai eu de
la chance, je suis arrivé à un moment où
des gens partaient, avaient choisi de faire autre chose. Et
j’ai eu la chance de rencontrer ce garçon, un très
bon bruiteur, qui m’a vraiment appris beaucoup de choses. Lui,
au départ, bruitait et montait tous les films de Jean
Pierre Melville; on a bruité ensemble Le Cercle Rouge,
Un Flic, L’Armée des Ombres…C’était
quelqu’un de très précis, avec beaucoup de goût.
Outre le petit don pour être synchrone tout de suite,
il m’a appris énormément, notamment en ce qui
concerne les micros, l’acoustique…Il a écrit un scénario
qu’on essaie de produire (1) avec le Canada, mais ça
n'est pas évident, on n'a pas trouvé le financement
total du film.
Objectif
Cinéma : Avez-vous
travaillé dans d’autre domaines que le cinéma ?
Jean-Pierre Lelong : Non.
J’ai commencé ma carrière comme projectionniste
dans un studio de post-production son. Ensuite je suis passé
recorder dans un audit de mixage : c’est là que
j’ai rencontré Robert Pouret. J’ai quitté le
studio pour devenir son assistant pendant deux ans; puis lui
est parti vers la réalisation, et j’ai pris sa place.
C’est comme ça que ça a marché. J’ai
commencé très jeune, j’avais 20 ans. Et maintenant
j’en ai 53. Cela fait 33 ans que je fais du bruitage.
Objectif Cinéma :
Quel était votre premier film ?
Jean-Pierre Lelong : C’était
L’Américain. Le film était produit
par Claude Lelouch, et mis en scène par Marcel Bozuffi,
avec Simone Signoret et Jean-Louis Trintignant. C’était
en 1970. Et j’avais en charge la version internationale (2).
Objectif Cinéma :
Quand avez-vous eu le sentiment d’atteindre
une sorte de maturité dans le métier ?
Jean-Pierre Lelong : C’est
difficile à dire, car je n’ai pas souffert à
faire ce métier-là. Le plus important dans ce
métier, c’est le synchronisme, et j’ai assez vite maîtrisé
la chose. Après, c’étaient des questions plus
techniques. J’ai mis 6 mois à me familiariser avec
les endroits, parce qu’ils sont différents : on
ne place pas les micros de la même façon dans
un grand espace que dans un petit. Et avoir un feeling avec
l’ingénieur du son qui est derrière et qui fait
la prise de son. Parce que la réussite d’un bon bruitage,
c’est évidemment un travail d’équipe. Donc,
si le bruiteur est bon et que l’ingénieur du son est
mauvais, les bruitages sont mauvais, et inversement :
avec un mauvais bruiteur, cela ne fera pas du bon travail.
Mais je me suis familiarisé avec le son assez vite,
car j’y ai baigné énormément dans mon
enfance (3), quand j’étais à l’école.
Les jeudis, à l’époque j’étais toute
la journée, collé à la vitre du studio,
et je voyais défiler la bande-rythmo (4) en dessous
de l’image. Après, cela ne m’a pas posé de problème.
Objectif
Cinéma : Comment imaginez-vous
un son ?
Jean-Pierre Lelong : Je suis
très attentif dans la vie à l’environnement
sonore, et c’est l’imagination qui fonctionne ensuite. Je
suis dans mon audit, j’ai une masse de matériel,
et je sais qu’avec l’aide de l’ingénieur du son et
de la technique, j’arrive à faire de la neige avec
de la maïzena, et des chevaux avec des entonnoirs.
Et c’est quelque chose qui m’est venu un jour : comme
je ne pouvais pas faire entrer un cheval dans l’audit, il
fallait bien que je trouve une solution ! Quand je
fais du ski, je prends aussi de la maïzena avec du
sable, et puis des bandes de K7 vidéos ; j’ai
fait des essais sur des tissus et cela fait exactement le
bruit du ski. Toujours aidé par la personne derrière,
qui booste les basses et remet les aigus, je me rendais
compte que ça fonctionnait.
C’est perpétuellement une recherche, avec des trucs
parfois assez cons, par exemple une essoreuse à salade :
quand on tourne vite, on s’aperçoit que cela fait
exactement le bruit du démarrage du métro.
C’est avoir de l’oreille, et se dire : " je
n’ai pas l’ustensile, comment faire ? ".
C’est être toujours en éveil à l’environnement
sonore.