Objectif Cinéma
: Comment s’effectue la collaboration
avec les réalisateurs ? Avec Brian de Palma par
exemple ?
Jean-Pierre Lelong
: Eh bien, la collaboration s’est passée vachement bien,
puisqu’il n’était pas là ! Il était
aux Etats-Unis, en train de monter la musique. Le producteur
était Tarik Ben Amar, et il m’a laissé travaillé
tout seul, parce que j’avais déjà fait beaucoup
de films avec lui, notamment les films de Polanski, Pirates,
etc. Et j’ai quand même une certaine réputation
dans le métier, donc souvent les réalisateurs
me font confiance, ils ne viennent pas trop au bruitage et ils
me laissent faire. À la fin de la période de bruitage,
je revois le film avec eux… et tous les bruits. Et s’il y a
des petites choses qui ne vont pas, on fait des raccords.
Mais je ne connais pas du tout Brian de Palma, et lui non plus
d’ailleurs ! J’ai travaillé avec son monteur-image,
qui était ravi du travail qu’on avait fait.
Objectif
Cinéma : Et avec Roman
Polanski ?
Jean-Pierre Lelong : Oui, j’ai
fait 7 films avec Roman, mais il n’était pas là
non plus au cours du bruitage. On a commencé avec Le
Locataire, en passant par Tess, par Pirates,
Frantic… Et j’ai travaillé aussi avec des gens
comme Alan Parker, Michael Cimino…On a été nominé
aux Oscars, pour Amélie Poulain, sans pour autant
l’avoir. Mais on le savait de toute façon, car les
Américains sont très protectionnistes. Il y
avait quand même devant Harry Potter, le Seigneur
des Anneaux ! On s’est dit que
c’était déjà pas mal pour des petits
"Frenchies" d’être nominés dans la course au
son aux Oscars.
Moi, j’ai eu 4 Oscars pour 2 James Bond, La Cité
des Enfants Perdus, et puis L’Amant de Jean Jacques
Annaud, et là, on ne l’a pas eu, tant pis. On n’a eu
ni l’Oscar, ni le César, mais bon, il y a des années
où on ne peut pas tout avoir…
Objectif Cinéma :
Sur Amélie Poulain,
vous êtes crédité " Sound Effect
Editor ", est-ce différent de … ?
Jean-Pierre Lelong : Non,
c’est bien bruiteur ; ça ne ressemble à
rien, parce que ce titre pompeux veut dire " monteur
son " en français… Les Américains,
pour une fois, ont quand même une sensibilité
un peu plus intéressante que la nôtre :
quand, aux Oscars, on récompense la bande sonore d’un
film, on donne alors l’Oscar à toute l’équipe.
En France, quand il y a le César du son, le monteur-son
et le bruitage dégagent. C’est le type qui a fait le
mixage, et le type qui a fait le son-direct qui sont sur scène.
Le reste, tout le monde s’en fout. Alors que si le monteur-son
n’est pas là et si le bruiteur n’est pas là,
les deux autres ne sont rien. Voilà, en France, c’est
comme ça.
Objectif
Cinéma : Comment s’est
amorcé votre collaboration à des films américains ?
Jean-Pierre Lelong :
Un jour, j’étais en train de travailler au studio
de Billancourt, quand on me téléphone pour
me demander de faire un film américain, produit par
la France, et monté par un monteur américain,
John Glen. Il vient en France, on fait le bruitage, et il
est incroyablement surpris, alors qu’il avait monté
cinquante films, par la manière et la précision
avec laquelle on travaille. Il vient donc deux semaines
au bruitage avec moi, et ça le passionne, nous devenons
alors camarades.
À la fin des bruitages, il me dit qu’il est pressenti
pour être le réalisateur du prochain James
Bond (Octopussy, 1983, ndlr). Je lui dis, " eh
bien, c’est une bonne nouvelle ça ! ".
Alors, il me dit : " si je fais le film,
je viendrais faire les bruitages avec toi en France ".
Il a tenu sa parole, et ça a fait boule de neige.
C’est le premier Oscar que j’ai eu, et j’ai enchaîné
sur 7 James Bond d’affilée. Comme beaucoup de productions
américaines se tournaient à Pinewood, en Angleterre,
j’ai récupéré énormément
de films américains, qui venaient juste faire les
bruitages ici.