Objectif Cinéma
: Ces bruitages de films américains
n’étaient donc pas destinés à la version
internationale.
Jean-Pierre Lelong:
Non, c’était la version originale, mais qui servait
en même temps de version internationale. En fait, lorsqu’on
fait un film français, les bruitages créés
pour la version internationale servent aussi dans la version
originale, pour supporter certaines scènes : lorsque
le son direct est mauvais, lorsqu’il faut faire, par exemple,
des bagarres, des coups, des chocs. La collaboration avec
les Américains part de là, et elle perdure.
Et en plus, ça fait travailler les studios français.
Les Américains ont une manière de travailler
très différente de la nôtre, ils font
beaucoup plus confiance aux chefs de poste. En France, il
y a toujours des extensions du pouvoir. Tout le monde se mêle
de tout. Dès que le réalisateur a le dos tourné,
c’est le monteur qui veut prendre le pouvoir, puis c’est l’ingénieur
du son… C’est souvent assez tendu en France, chacun défend
son territoire. C’est la loi de l’offre et la demande, et
il faut ramer pour rester sur le coup.
Avec les Américains, à partir du moment où
vous êtes choisi, vous êtes chef de poste, et
on vous laisse tranquille. Moi je préfère la
méthode américaine, qui consiste à laisser
s’épanouir la personne qui travaille. À la fin,
on se retrouve pour regarder le film et dire ce qu’on
aime ou non. Une journée suffit pour faire des raccords
quand il y en a. Sur les James Bond, je faisais dix raccords
sur un film de 2h, c’est le maximum, et ça fait une
heure de boulot en plus. Ça permet de s’exprimer, sans
qu’il y ait quelqu’un derrière qui ne soit pas le réalisateur...
Objectif
Cinéma : Travailler
sur les scènes d’action, notamment des James Bond,
est-ce la part du bruitage la plus difficile ?
Jean-Pierre Lelong : Non, en fait la difficulté
vient souvent du montage du film. Si le film est très
découpé, avec sans arrêt des changements
de décor intérieur-extérieur, ça
pose beaucoup de problèmes parce qu’il faut s’arrêter
tout le temps, reconsidérer les micros, à l’intérieur,
à l’extérieur. Quand le film est très
découpé, c’est un travail pénible. Et
puis on n’a pas souvent le temps de s’exprimer : il y
a deux pas, et hop, on passe à autre chose.
Ce n’est pas comme lorsque c’est tourné en plan-séquence,
avec deux personnes qui marchent dans une pièce et
qu’on voit tout le temps, sans champ-raccord. Mais certains
films intimistes sont très précis et très
durs à faire.
Objectif Cinéma
: Vous avez travaillé sur des
films historiques, comme le Libertin de Gabriel Aghion. ou
Louis Enfant-Roi de Roger Planchon. Est-ce plus difficile
de recréer des sons que le spectateur n’a jamais entendus ?
Jean-Pierre Lelong : Non, moi
ça m’amuse de le faire. Mon rêve serait de bruiter
un western… Je rêve de ça : les morts, les
santiags, les coups de feu… Malheureusement en France ça
n’est pas notre spécialité, et aux Etats-Unis
ils n’en font plus beaucoup ; j’aurais adoré bruiter
Silverado par exemple. Les riot-guns, les machins,
c’est vachement bien tout ça.
Objectif Cinéma : Avez-vous
déjà travaillé dans l’animation ?
Jean-Pierre Lelong : Je n’ai
pas trop le temps de le faire, mais j’ai fait un film, il
y a une vingtaine d’années avec René Laloux,
qui s’appelait La Planète Sauvage. C’était
très intéressant, car il fallait inventer des
sons. Mais c’est le seul dessin animé que j’ai jamais
fait. Il n’y en a pas beaucoup en France, surtout des long-métrages,
c’est surtout pour la télévision. Mais par contre,
les " bing ", " Zebulon "
etc, sont faits avec des effets spéciaux numériques.
Objectif
Cinéma : Quels
sont les travaux dont vous êtes particulièrement
fier ?
Jean-Pierre Lelong : J’en
ai beaucoup bavé pour Pirates de Polanski.
C’était très difficile. Tout d’un coup, on
se retrouvait sur un bateau du XVIIe siècle, avec
des ponts en bois, des jambes de bois, les coups de fouet,
la bagarre, les batailles sur le bateau, etc. En même
temps, c’était très intéressant à
faire. Pirates, nous l’avons même bruité
deux fois puisqu’il y a eu un deuxième montage :
on a préféré refaire le bruitage plutôt
que de remonter tous les bruits, qui étaient trop
nombreux. On est resté 8 semaines sur ce film-là.
Un autre film que j’ai bien aimé faire, c’est Angel
Heart d’Alan Parker, car il y avait un gros travail
de recherche de sons. Cet univers glauque, cette fin où
il pète les plombs dans la chambre, le sang qui coule
partout dans des gamelles, l’eau qui se transforme en sang…
J’en ai un peu bavé, mais le résultat était
assez correct. Les James Bond aussi c’est amusant,
c’est une performance de faire tous les bruits sous
la mer, toutes les bulles…Cela demande beaucoup de précision.
Il y a aussi un film dont nous sommes assez fiers, c’est
L’Ours de Jean-Jacques Annaud, parce que le film
était muet. Au tournage, les dresseurs gueulaient
sans arrêt sur les ours, pour les faire se lever etc
: il y avait donc tout le temps la parole du dresseur, plus
les indications de Jean Jacques. Donc on a tout jeté.
Il n’y a que du bruitage : les ours qui marchent, qui
griffent les arbres, les chiens, les colliers, tout ce qui
est manipulation d’armes…Tout ça c’est du bruitage.
C’est même Jean Jacques Annaud qui a fait la voix
du petit ourson, et ça passe très très
bien. On est resté 5 semaines dans la cabane, avec
des vieux arbustes, des moquettes par terre, des écorces
d’arbre… Oui, je suis fier de ça.