Objectif Cinéma : Le
décor des cavernes semble nous ramener deux millénaires
en arrière.
Bruno Beaugé : Il
s'agit de champignonnières qui sont de gigantesques espaces
caverneux, où l'on a amené des pans de murs entiers,
construits et sculptés en polystyrène. Pour ce
décor, qui suggère à la fois une ville
creusée dans le roc ou une cité engloutie, j'ai
pensé fortement à Petra, cette cité antique
construite dans les falaises.
On avait prévu une scène de transition vers ce
décor : des salons lambrissés des Noailles, on
descendait dans les caves du château, pour aboutir dans
ces immenses cavernes. Malheureusement, le temps a manqué
pour tourner cette séquence, une sorte de descente aux
enfers, magique et architecturée.
Objectif
Cinéma : Parmi les
décors en studio, il y a la chambre de Proust dont
les murs se transforment d'un plan à l'autre. Comment
est née cette idée ?
Bruno Beaugé : C'est
le genre de décor avec lequel on peut s'amuser. Raoul
cherchait une idée pour que Proust se retrouve enfant
dans un volume d'adulte.
Dupliquer le décor en doublant l'échelle aurait
été très coûteux, car Proust
possédait du mobilier précieux. Donc nous
avons agrandi des éléments d'architecture
: portes, moulures, papier peint aux rayures deux fois plus
larges,... tout en conservant une partie du mobilier à
l'échelle normale, créant ainsi un déséquilibre
qui allait dans le sens défini avec Raoul.
Comme le décor change d'échelle plusieurs
fois au cours de la même scène, j'ai suggéré
à Raoul d'ajouter une touche surréaliste,
comme une toile de Magritte. Et, quand la porte s'ouvre,
on découvre le cyclo surexposé du studio,
ce qui prolonge le côté irréel et onirique
du film.
Ruiz aime que les trucages soient visibles, pour lui les
plus beaux décors sont ceux de Méliès.
Il y avait d'autres effets surréalistes étonnants
: un clocher qui s'envole, des arbres qui avancent, mais
qui ont disparu au montage.
Objectif
Cinéma : Dans le même
esprit, on trouve la scène du concert, où
des rangées entières de figurants glissent
latéralement, dans un mouvement inverse à
celui de la caméra.
Bruno Beaugé : C'est
une pure idée de mise en scène, une invention
de Ruiz, en tout cas je ne me souviens pas l'avoir vue auparavant
au cinéma. Les personnages sont placés sur
des praticables, actionnés par les machinistes. On
retrouve ce même effet, à la fois discret et
troublant dans les deux films suivants : Les âmes
fortes et La comédie de l'innocence.