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Objectif Cinéma :
Cela devait engendrer des rapports
difficiles avec les producteurs…
Jean Rollin :
Il fallait souvent biaiser, truquer, tricher… tout le temps.
Objectif Cinéma :
Et le producteur Sam Selski,
qui vous a suivi sur de nombreux films, comment êtes-vous
parvenu à le rendre réceptif à votre
travail ?
Jean Rollin :
Il a évolué comme moi, c’est-à-dire qu'il
s'est pris tout d'un coup de sympathie pour ce que je faisais.
Objectif Cinéma :
Jean-Jacques Renon, le chef opérateur de la série
des Vampires, a créé une image en couleur
très travaillée, chatoyante, que l’on ne retrouvera
plus dans votre travail.
Jean Rollin :
Jean-Jacques était un directeur de la photo de très
grand talent. Il est resté assez marginal en raison
de son penchant pour la boisson. Quelquefois, cela ne se passait
pas très bien ; il était très provocant,
provocateur vis-à-vis des gens de la production, ou
autres. Une nuit, sur le tournage de La Rose de Fer,
je l’ai vu arriver ivre mort, ne pouvant plus tenir debout,
soutenu par deux électros. Ensuite, assis sur une tombe,
il dirigeait un tournage complet toute la nuit et arrivait
à faire, dans cet état-là, une image
absolument splendide. Je l’ai vu aussi, par provocation, s’amuser
à faire un éclairage et prendre le diaph avec
un réveil-matin. Il n’avait de toute façon pas
besoin de prendre le diaph : c’était un tel professionnel
qu’il avait fait sa lumière sans se reporter à
sa cellule. Mais il avait fait semblant, comme ça ;
les producteurs étaient complètement affolés,
bien sûr. Il était très marginal, mais
c’était un grand chef opérateur.
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Objectif Cinéma :
Une collaboration précieuse…
Jean Rollin :
C’était une collaboration très étroite ;
pour Le Frisson des Vampires, il y avait tout un tas
d’effets de lumière délibérés,
sur lesquels on s'était mis d'accord. De même,
j’ai trouvé aujourd'hui en Norbert Marfaing-Sinters
(7), quelqu’un d’aussi précieux pour moi que Renon
l’a été.
Objectif Cinéma :
Leur travail est très
différent, l’image de la Fiancée de Dracula
est granuleuse, presque documentaire…
Jean Rollin :
Oui, c’est une image différente, mais l’esprit est
le même.
Objectif Cinéma :
Vous disiez hier, en présentant
au public Le Viol Des Vampires, que vous préfériez
le noir et blanc à la couleur. Mais votre emploi de
la couleur est pourtant très réfléchi…
Jean Rollin :
Oui, mais maintenant je fais des films en fonction de la couleur.
J’ai une vieille passion pour le noir et blanc, c’est vrai.
Dans ma jeunesse, tout mon apprentissage du cinéma
s’est formé de films en noir et blanc, rarement en
couleur. Maintenant, le noir et blanc n’existe plus.
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Objectif Cinéma :
Avez-vous une activité
de peintre ?
Jean Rollin :
Non, j’ai une activité d’écrivain. J’ai une
petite maison d’éditions, et j’ai écrit pas
mal de bouquins (8).
Objectif Cinéma :
Lèvres de Sang,
réalisé en 1974, marque une rupture dans l’approche
du vampirisme comme communauté, remplacée par
la solitude amoureuse du couple. Quelle est l’origine du projet ?
Jean Rollin :
Au départ, je souhaitais faire des variations sur le
temps, un temps qui ne passe pas à la même vitesse
pour les uns et pour les autres. Il y avait la rencontre du
petit garçon et de la jeune femme dans les ruines,
puis, devenu adulte, le personnage se souvenait tout à
coup de cette rencontre de sa petite enfance, et recherchait
cette fille, la retrouvait : elle avait le même
âge, elle n’avait pas changé. Par conséquent
ils s’étaient rejoints ; il pouvait alors s’éprendre
de son souvenir d’enfance. C’était l’idée de
base.
On a longtemps cherché comment développer ça.
Et finalement l’idée suivante s’est imposée
à moi : toute la quête du Graal du personnage
reposait dans la volonté de retrouver cette fille,
qui était restée la même. Alors que dans
les versions que j’avais écrites au départ,
il la retrouvait tout de suite, mais ça ne faisait
plus un film !
Il n’y avait pas la même communauté initiatique
comme dans La Vampire Nue, par exemple, où des
gens se suicident pour nourrir la vampire en quelque sorte.
Là j’avais l’idée d’une communauté initiatique
un peu comme, toute proportion gardée, la communauté
" d’Acéphale ", ce mouvement qu’avait
monté Georges Bataille (9) et qui pouvait aller - on
l’a laissé entendre - jusqu’au sacrifice humain. Là
c’était un peu ça, des gens qui se sacrifient
par dévotion pour cette mystérieuse femme.
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