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  Calendar (c) D.R.

Objectif Cinéma : Quand on regarde les films que vous avez fait ensemble depuis dix ans, on perçoit véritablement une logique d'ensemble. Il existe par exemple des effets d'écho entre Calendar et Ararat, mais aussi de manière plus surprenante, entre De beaux lendemains et Ararat : il est presque symétrique avec Ararat. Par exemple le parallèle entre une histoire collective et d'une histoire intime.

Arsinée Khanjian : Vous avez tout à fait raison de faire la comparaison. C'est cette chose bizarre, cette proposition d'exister dans la connaissance l'un de l'autre. L'idée de connaître l'autre. De beaux lendemains parle exactement de ça : une petite communauté où les gens prétendent se connaître les uns les autres, et pourtant il y existe tellement de secrets qui n'en sont pas forcément, mais qui sont connus par les protagonistes et les gens autour. C'est une rupture de la mémoire, une décision collective précise qui n'a jamais été verbalisée mais qui a été quand même admise comme telle. C'est une sorte de rejet, de négation.

Dans les relations inter-générations des deux films, il y a quand même des différences : dans De beaux lendemains, il y a une sorte de vengeance qui s'opère entre la fille et le père, alors que dans Ararat, tout se passe au-delà de ça, parce que la vengeance est un acte mais pas nécessairement une résolution. Dans Ararat, il existe une recherche de partager la culpabilité.


Objectif Cinéma : Rafi, le personnage du fils dans Ararat, à travers sa quête personnelle, est un cousin éloigné du photographe de Calendar

Arsinée Khanjian : A la rigueur, le photographe de Calendar ne peut pas échapper à voir ce qu'il y a à voir. Rafi est beaucoup plus proche. Il a fait le geste, il est parti du même point de départ peut-être, mais ce qui est important dans la mémoire, surtout les mémoires qui ont subi des ruptures, soit imposées par soi-même, soit par l'Histoire, c'est qu'on sait qu'il y a "quelque chose" au-delà de ça, qu'on découvre ensuite en fonction de l'expérience de chacun.

C'est ce qui se passe avec Rafi, qui part à la recherche d'une chose très concrète, sur les lieux mêmes en Arménie, en se disant qu'il va comprendre ce qui s'est passé (quelle cause défendait son père en commettant un attentat, ndr).

A la fin du film, il y a un moment très beau et très important quand il dit à Celia, après avoir reconstitué le puzzle pendant ces deux heures, qu'il a vu le fantôme de son père en ouvrant la boîte de film devant le douanier. Il comprend alors ce qu'était un père.


Ararat (c) D.R.

Objectif Cinéma : Et cela se passe pratiquement au même moment que lorsque votre personnage comprend la nécessité du lien avec Rafi, avec le présent, et lorsqu'il voit le fantôme de Gorki devant l'affiche du film lors de sa première.

Arsinée Khanjian : Vous dîtes que c'est un fantôme, c'est très bien ! Parce qu'on ne sait pas justement si c'est le fantôme de Gorki, ou si c'est le comédien qui a joué dans le film : tout cela est très suggestif… Ce qui est aussi très fort et très important dans cette partie du film, c'est qu'Ani décide de passer enfin au présent et à l'immédiat. L'urgence n'est plus de travailler dans le passé, mais de travailler dans le présent. Alors qu'elle devait avoir hâte de voir ce film, qu'elle pourrait rester là à vivre l'image comme une récompense, elle décide de partir à l'aéroport pour aller chercher son fils. Il y a un moment de catharsis où elle se rend compte que si quelque chose doit se passer, s'il y a des retrouvailles par rapport à elle, cela se fera dans le présent et non dans le passé. Ce qui est formidable quand elle voit le fantôme de Gorki, c'est que pour la première fois peut-être, elle fantasme, crée sa propre image, et s'en détache pour aller dans quelque chose de réel.