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Objectif
Cinéma : Et l'origine
du désir de réaliser des films non narratifs
: venait-elle de chocs esthétiques que vous aviez alors
reçus ?
Alain Raoust : C'est ça.
J’aimais aussi l'accessibilité à ce cinéma-là.
Un cinéma qui pouvait se faire très vite, sans
de gros moyens. On n'avait pas besoin d'écrire un scénario,
de chercher des acteurs, d'attendre des aides, bref, tout
ce qui correspond à la préparation d'un film
classique. Il y avait quelque chose d'instantané, d'immédiat.
On tournait en super 8 ou en super 16, avec un groupe très
actif qui tournait quand il en avait envie, dans des expériences
parfois très psychédéliques. Il suffisait
qu'on soit tous ensemble, qu'on ait pris quelque chose d'illicite,
et puis les films se faisaient comme ça. C'était
festif. Il y avait aussi des films plus formels, plus apparentés
à Peter Kubelka. J’aimais ce foisonnement, la rapidité
d'exécution, et aussi l’idée d'être en
marge.
Objectif Cinéma : Est-ce
qu'on peut dire que La vie sauve et La cage
sont des films " politiques ", d'une certaine
manière ? En disant cela, je pense au personnage d'Anne
Verrier dans La cage, qui refuse la perspective d'intégration
qu'on lui offre et produit ainsi un acte politique…
Alain Raoust : Qui peut
être perçu comme tel, effectivement…Mais je n'appuierais
pas cela. Je laisse aux spectateurs le soin d'en prendre conscience.
Je ne dirais pas que ce refus est politique et qu'il s'agit
d'un film politique. Je parle plus d'un film en résistance,
d'un film qui a pour principal moteur un personnage qui résiste.
Comme peut l'être par exemple Bartleby dans la nouvelle
d’Herman Melville, quand il répète "Je préférerais
ne pas…", Anne Verrier dit aussi "je préfère
ne pas". Et par là, il y a résistance et acte
politique.
Je place davantage la politique dans la poétique du
film. Je la mets par exemple dans ce tout petit plan où
elle regarde la souris de son ordinateur. Il y a deux plans
en fait : elle est en train de regarder vers le bas et
tout d'un coup, on voit un plan subjectif où elle regarde
une souris ; une sorte de téléscopage se
produit entre ces deux plans. Il s’en dégage une sorte
de poésie, où se niche aussi le politique. Mais
le principal moteur était de trouver un personnage
qui résiste, qui a franchi des limites (qui a tué
quelqu'un), et qui malgré ça, préfère
" ne pas ". Il n'y a pas de rédemption.
C'est un personnage qui résiste et dit " J'ai
fait ça dans mon passé, je suis ce que je suis.
Ce n'est pas pour autant que vais accepter tout ce qui se
proposera à moi socialement ".
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Objectif
Cinéma : La structure
du film, adoptant le point de vue subjectif du personnage
central, et l'entraînant littéralement vers les
sommets, était-elle prévue dès l'origine
?
Alain Raoust : La courbe
ascensionnelle du film était voulue pour une raison
qui peut faire sourire : elle était prévue dans
le décor, avec au départ toute une partie urbaine,
à zéro degré en altitude, puis une partie
à la campagne où on s’élevait un peu,
à 200 ou 300 mètres, et le film se terminait
dans un col à 3000 mètres. Il y avait en arrière-fond,
au niveau du décor, cette courbe ascensionnelle. Après,
le pari a été réussi : ça a marché
au niveau des acteurs, de la tension et de la narration. C'est
le paysage qui a défini l'aspect formel du film. Je
pense même être parti du paysage pour construire
ce film.
Objectif Cinéma :
C'est aussi le paysage des Alpes de
Haute-Provence où tu a grandi…
Alain Raoust : Oui, oui,
jusqu'à l'adolescence…C'était pour moi aussi
un essai : je voulais voir ce que pouvait donner ce lieu pour
mes prochains films. Je pense qu'ils se passeront tous là-bas
désormais : j’y ai trouvé tout ce qu'il
me faut : le paysage, l'espace… C'est aussi dans le paysage
que se situe la partie inconsciente du film sur le western.
Le geste fondateur du cinéma américain, c'est
de filmer le paysage. Donc je pense être parti de ça,
d'une envie de filmer ces paysages familiers. Je ne dis pas
que j'ai cherché une histoire qui pourrait se greffer
là, mais un concours de circonstances a fait que tout
cela a pris forme.
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