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Sunchaser (c) D.R.

Objectif Cinéma : Les paysages et les visages sont à la base du cinéma… dans la mesure où filmer un paysage ou un visage en plan fixe pendant un certain temps peut s'avérer passionnant...

Alain Raoust : Oui. Il existe un très beau film de Jonas Mekas de dix minutes sur un lever de brouillard dans la campagne. On ne voit rien au début, tout est blanc, puis petit à petit on découvre des vallons, des vergers, un clocher au loin, et la simple disparition du brouillard donne à regarder successivement plusieurs tableaux. Michael Cimino est aussi souvent parti radicalement du paysage, que ce soit dans Sunchaser ou dans ses autres films. Là, le paysage est là, non pas comme décor, mais comme partie prenante de la narration, comme acteur, comme personnage.


Objectif Cinéma : Pour La cage, est-ce que les décors et les paysages étaient présents de manière précise dès l'écriture ?

Alain Raoust : Oui, très vite. Il s'agissait de filmer dans un paysage urbain, un peu à la campagne, et en ce qui concernait les Alpes, je voulais tourner dans une station hors-saison pour retrouver une dimension désertique, et essayer de retrouver ce qui réduit le western à l'allée centrale, la prison et le saloon. Retrouver cela avec pratiquement personne, et une atmosphère un peu pesante. Je n'aurais pas pu tourner le même film au mois de janvier, c'est évident ! Cela dit, un de mes rêves est de tourner un film sous la neige. J'y suis très sensible. Mais ce qui m'attire surtout avec la neige, c'est certainement le blanc et le paysage, mais surtout le son, cette espèce de cloche de sons sourds. Les idées de films ne naissent pas forcément de narration mais de plaisirs sonores et d'images, même s'il faut absolument se méfier des images quand on fait du cinéma. L'ennemi du cinéma, c'est l'image. Aussi paradoxal que cela puisse paraître. L'image qui n'a pas de sens, qui ne sert à rien, l'image esthétisante…Il ne faut pas partir de l'image, c'est assez paradoxal. Il faut partir du réel peut-être : d'un paysage, mais pas de l'image du paysage.


  Close up (c) D.R.

Objectif Cinéma : La vie sauve et La cage sont deux films qui ont la puissance du cinéma muet… Par conséquent il y a l'idée de faire tout de même confiance à l'image…

Alain Raoust : Oui, voilà. D’ailleurs Antonioni ou Bresson ont fait confiance au visuel, à l'image. Mais faire confiance à l'image ne veut pas dire penser en images. Débuter un scénario et penser en images, c'est selon moi prendre une mauvaise voie. C'est ce que je me dis à longueur de journée. C'est au moment du tournage qu'il faut faire confiance à l'image.


Objectif Cinéma : C'est une voie pas forcément très explorée dans le cinéma français…

Alain Raoust : Je pense que Philippe Ramos, Yves Caumon, Jean-Paul Civeyrac, Orso Miret, etc, font confiance au visuel mais ne pensent pas forcément en terme d'images. On pourrait opposer à ça les Besson et autres Kounen, qui pensent en images. D'où n'importe quoi à un moment donné. Je pense plus le réel, j'essaye de plus penser l'acteur, le son, les absences, les creux, le montage… J'ai une manière de travailler et de vivre, de percevoir le réel, d'y être attaché. Quand je pense à ça, je pense immédiatement à la scène où une petit bouteille roule sur le sol dans Close-up de Kiarostami. Une séquence incroyable où il ne se passe rien et où un type regarde simplement un flacon rouler le long d'une rue jusqu'à ce qu'il s'arrête au bord d'un trottoir, avec le son creux et métallique de ce genre de bouteille. C'est un truc du réel qu'on peut observer d'une terrasse de café, on le note, on cherche ensuite à le construire et à le faire exister dans un film.