Delphine Gleize :
Tout, je pense. Ce qui est le plus intéressant, quand
on vit des choses ou qu’on les ressent, ce n’est pas de les
donner de façon brute. Il faut les broyer ou les digérer.
Je mâche, je broie, j’ai un côté très
robot.
Objectif Cinéma :
Est-ce que le film a été
dur à monter financièrement ?
Delphine Gleize :
Ca a été assez compliqué. Nous n’arrivions
pas à avoir de financement en France. Jérôme
Dopffer [le producteur] a eu l’idée, avec le producteur
belge, de réunir un financement européen. Il
n’y a pas de personnage principal, il y a un taureau, des
liens avec d’autres personnages, je comprends que le projet
ait pu faire peur. Donc, le film a été long
à monter, vraiment. Le scénario se lisait facilement,
mais il était quand même un peu bizarre.
Objectif Cinéma :
A propos du titre, Carnages…
Delphine Gleize :
J’aime bien ce mot car je le trouve plein d’énergie.
Avec ce mot, on sent qu’il peut y avoir des miraculés
ou des survivants, et c’est ce que je revendique. Pour moi,
Carnages est un film très optimiste.
Objectif Cinéma :
Il suggère une certaine violence.
Delphine Gleize :
Oui, forcément, mais ce n’est pas de la violence physique.
Les carnages qui sont les plus criants dans le film sont les
moins voyants, par exemple cette petite fille qui a à
peine de la place sur un canapé lorsque son chien se
trouve à côté d’elle. Plutôt qu’un
réel danger, voilà toute la violence de son
histoire. Je déteste les films d’horreur, je ne supporte
pas que quelqu’un marche dans la nuit ou se tienne juste derrière
une autre personne. Je n’éprouve aucun plaisir à
voir ça. Carnages est beaucoup plus simple,
c’est un film sans piège. Les personnages sont toujours
en train de se sortir de situations, mais on ne leur tend
jamais de traquenard. ça, de Palma le fait très
bien par exemple.
Objectif Cinéma :
C’est un film sur les corps,
la chair. Elle est visible, parfois malmenée.
Delphine Gleize :
C’est une façon d’accepter le corps et la mort de façon
très simple et très directe. Quand on a la mort
sous les yeux ou qu’on l’avale, on est plutôt sympathique
avec la chair. Je ne suis pas du tout fascinée par
le sang ou les boyaux. Donc, ce rapport à la chair
et à la peau, plus qu’à l’ensemble du corps,
est simple. Il n’y a pas de dimension sexuelle dans l’intérêt
porté à la chair. C’est un film sur ce que les
gens ont dans le ventre plus qu’un film sur des gens dominés
par des pulsions. C’est l’organe qui fait la loi.
Objectif Cinéma :
Le film commence par une mort,
celle du taureau, qui va donc initier des naissances ?
Delphine Gleize :
Absolument. Toutes les morts du film ne sont jamais un aboutissement,
elles ont uniquement pour but de faire rebondir la vie, donner
naissance à autre chose, éclairer un passé,
voir clair, tout simplement. Elles ne sont pas du tout dramatisées,
ni traitées de façon réaliste, je pense
que j’en serais incapable. Il y a cette dimension, cette possibilité
de pouvoir s’échapper, de trouver une naissance nouvelle
quand on côtoie la mort de près. Ce n’est pas
forcément la mort d’un personnage, cela peut passer
par le fait de lui enlever ses grains de beauté, par
exemple : se faire un petit trou en se disant qu’on est
vraiment libres, que l’on ne possède plus rien de ses
parents.