Objectif Cinéma :
On ressent la lucidité
des personnages…
Delphine Gleize :
Oui, ce sont des personnages blessés qui veulent s’en
sortir. D’où l’aspect très humaniste et optimiste
du film. Ils ont confiance en eux, dans le fait qu’ils peuvent
être heureux. Mais le bonheur passe par l’épreuve.
Objectif Cinéma :
Ces épreuves prennent
une dimension particulière, notamment dans leur rapport
à l’espace. Je pense par exemple à la scène
des TOC, assez cruelle...
Delphine Gleize :
Tous les personnages ont un rapport assez violent à
l’espace. Ils sont projetés dans des cercles où
il est difficile de se cacher. Ils sont en pleine lumière,
il n’y a pas d’ombre là où ils doivent se trouver.
Dans la scène des TOC, Carlotta, jouée par Chiara
Mastroianni, sort de sa voiture, la ferme, va jusqu’à
l’entrée de la piscine, revient, tout ça 3 ou
4 fois. Elle est suivie par quelqu’un qui se trouve dans une
voiture et veut être le plus discret possible. Chaque
fois qu’elle s’en va, il s’apprête à sortir,
mais elle revient. ça aussi, c’est très violent.
Là, Carlotta est de nuit, mais quand vous le faites
devant tout le monde, il faut trouver un subterfuge pour avoir
une bonne raison de revenir voir si le gaz est éteint.
C’est extraordinaire. Mais il faut marcher pour aller au bout
de ses obsessions.
Objectif Cinéma :
D’où l’utilisation du
Scope, pour bien montrer ces espaces qu’il faut traverser ?
Delphine Gleize :
Oui. Je pense que le Scope, pour Carnages, était
le seul cadre possible. Les personnages ont beaucoup de chemin
à faire. Les gros plans sont assez violents, on ne
voit pas les visages dans leur totalité. Le morcellement
et les ruptures que l’on opère sont donc par définition
violents mais plus intéressants. Cela rejoint l’idée
de la temporalité du plan : un début, un
milieu, une fin, des souvenirs, dans les plans larges par
exemple. J’aime bien me dire que je peux fabriquer, à
l’intérieur d’un seul plan, une mémoire. Le
temps se trouve au service de l’espace. Il y a donc un rapport
espace/temps dans le Scope qui est très intéressant
et assez amusant.
Objectif Cinéma :
Les personnages semblent tous
être " en recherche ".
Delphine Gleize :
Ils doivent se découvrir un peu plus, bien que ce soit
un peu abstrait de dire cela. Finalement, chacun d’eux a des
motivations très claires. Je ne pense pas que les personnages
aient une psychologie, du moins qu’ils soient conscients de
leur psychologie. Jacques Gamblin, par exemple, étudie
les yeux des bovins. Il passe sa vie à observer les
yeux, mais il ne voit pas ce que sa femme a dans le ventre.
Les personnages sont pris dans des contradictions comme celle-là,
mais leurs enjeux et leurs désirs sont vraiment très
concrets.
Objectif Cinéma :
Y a-t-il un personnage qui
te touche plus que les autres, que tu aies décidé
de suivre particulièrement ?
Delphine Gleize :
Non, aucun. J’ai une tendresse particulière pour Winnie,
parce qu’elle est quand même le personnage principal
du film. Son regard brut et morcelé sur le monde me
touche directement. Elle n’est pas dans une démarche
consciente. Elle a juste à subir et à dominer
son corps qui est pris de convulsions, qui prend son indépendance.
Elle ouvre ses grands yeux. C’est très simple, au fond.
Objectif Cinéma :
Malgré cette violence
dont tu parlais, c’est un film où l’amour est présent. Delphine Gleize :
Oui. A partir du moment où on accepte de voir sa part
animale ou en tout cas, son organe personnel, cela nous permet
d’aller vers l’autre. C’est donc forcément un film
d’amour, du moins un film où l’amour est possible.
Je pense que le film se termine sur le début de l’amour.
Tous découvrent, pas seulement un membre qui leur manque
ou un organe, mais aussi et surtout leur capacité à
aimer vraiment. C’est le début d’un autre film…