Objectif Cinéma :
Existe-t-il d’autres manifestations
dans le genre de l’Etrange Festival dans le monde ?
Frédéric Temps
: Bien sûr, la Semaine Fantastique de San Sebastian
(Espagne) par exemple, ou d’autres festivals européens
ancrés dans le fantastique et le thriller. Les gens
du festival Fant’Asia à Montréal font un excellent
travail, sans doute plus en phase avec nous. Fant’Asia serait
une sorte de cross-over entre l’Etrange Festival et San Sebastian,
puisqu'ils travaillent aussi bien sur le polar psychanalytique
un peu déjanté, le cinéma d’arts martiaux
que les films de monstres. Mais il y a certainement d’autres
manifestations. Cependant, à l’écoute des différents
invités qui viennent chez nous, nous semblons être,
selon leur raisonnement, un peu à la pointe dans le
genre de ce qu’on fait ; il n’est semble-t-il pas évident
de trouver à travers le monde des manifestations qui
aient la même cohérence de programmation. Tant
mieux pour nous, mais malheur pour la production elle-même,
car si on est les seuls à travailler avec autant de
pointillisme, c’est quand même inquiétant !
Nous avons la grande chance d’être installé dans
un endroit officialisé, et de pouvoir montrer ce qu’on
veut sans trop de souci, en parvenant l’un dans l’autre, à
préserver nos choix. Prenez par exemple le film espagnol
Tras El Cristal d’Agustin Villalonga, que nous avions
montré en 96 ou 95. C’est un film qui avait été
vu une seule fois au Marché de Cannes, et qui avait
fait " un petit scandale ". Il y a quelques
semaines, en recherchant sur Internet des informations sur
le cinéaste, j’ai appris que le film avait failli être
présenté à Dallas, au Texas, dans le
cadre d’un festival gay et lesbien. Mais la projection du
film a été interdite par le District Attorney
de la ville. Alors qu’on entre dans un deuxième centenaire
du cinéma, des œuvres posent encore problème
et sont interdites ! Tout n’est pas gagné !
Objectif Cinéma
: Mais il y a actuellement
un véritable effet de mode autour de la pornographie,
de la violence.
Frédéric Temps
: C’est l’air du temps. Souvenez-vous des films de bikers
aux Etats-Unis dans les années 60, qui étaient
décriés et promis au pilon par des parents horrifiés
pour leur progéniture, ou encore dans les années
70, toute la vogue du cinéma pré- et post-Guerre
du Vietnam, qui a créé beaucoup de problèmes
aux Etats-Unis, la drogue, la libération sexuelle…
Tout passe, tout lasse. Qui, un an plus tard, se souvient
du scandale de Baise-Moi ? C’est déjà
tombé en désuétude. Les gens sont assez
intelligents pour savoir ce qu’on a à leur montrer,
ce qu’ils ont à y voir, comment ils peuvent le percevoir.
A partir du moment où vous ne mettez pas un enfant
en présence de ces films, tout adulte est consentant,
grand et intelligent : si quelque chose le dérange,
il sort de la salle ou il ne vient pas. S’il vient, c’est
qu’il y cherche quelque chose, et s’il cherche ce quelque
chose et qu’il le trouve chez nous, sa frayeur va peut-être
se démultiplier, s’amplifier ! C’est presque
une psychanalyse pour certains individus !
J’aurais pu aussi donner l’exemple plus concret d’une des
" Cartes Blanches ", données à
Miike Takashi : il avait choisi Orange Mécanique
de Stanley Kubrick, un choix que je trouve parfait, car le
film permettait d’éclaircir la position du cinéaste
lui-même, et les préoccupations à l’œuvre
dans son propre cinéma. Mais à la dernière
minute, le film a été annulé, car son
distributeur, en 2002, avait interdit de montrer le film en
salle. Le problème de la censure et de la caution est
un vieux serpent de mer, mais nous ne sommes pas inquiets
: les choses avancent, et tout dépend aussi de la façon
dont vous voulez les présenter.
Objectif Cinéma
: Vous avez programmé
cette année un hommage à Herschell Gordon Lewis.
Quelle a été la genèse de la constitution
de l’hommage ? HGL lui-même était surpris de
voir projeté Wizard of Gore... Gilles Boulenger :
Herschell n’assure pas de suivi sur le matériel qui
reste sur ses films. Cela faisait un bout de temps que nous
savions que ces copies étaient dans les parages, mais
nous n’avions pas trouvé d’occasion pour organiser
une rétrospective. Il n’y avait surtout aucune raison
de la monter sans Herschell Gordon Lewis. Et c’est vrai qu’il
fut forcément étonné, puisque les sources
étaient extrêmement diverses ! Aujourd’hui,
monter une rétrospective composée uniquement
de copies-film, cela relève de la gageure, et les copies
ne sont pas nécessairement formidables, loin de là.
C’est un peu la problématique générale
du festival : nous travaillons par exemple sur Konuma Masaru
depuis deux ans. Le temps nécessaire à monter
une rétrospective est parfois extrêmement long,
et nécessite de soulever des montagnes. Il y a beaucoup
de fausses évidences sur ce travail. On se dit que
si le film existe en DVD, c’est qu’il existe des copies. Alors
que pas du tout, il n’y a parfois plus rien, tout simplement
parce que ces films-là n’ont plus de raison d’exister
autrement que sur le marché parallèle du DVD.