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D’OU JE VIENS ? OU MES FILIATIONS CINEFILS…

Orphée (c) D.R.

Jean-Claude Brisseau : Je vais vous dire Mademoiselle de qui je me rapproche le plus. De Jean Cocteau. Notamment son film Orphée (1950). Et en y réfléchissant bien, pour l’ensemble de mes films, c’est le cinéaste pour lequel je me sens le plus proche. J’ai le sentiment de n’être qu’un amateur, un cinéphile qui a fait " mumuse " avec le cinéma et qui n’a toujours pas compris que son film pouvait toucher les gens. Par exemple, à la soirée organisée par l‘ARP au Cinéma des Cinéastes où il y avait près de quatre cent personnes, j’ai vu qu’au bout de deux heures ; les gens étaient tenus, alors qu’il m’arrive parfois de m’ennuyer très vite au bout de vingt / vingt cinq minutes ! Je ne sais pas s’ils ont aimé ou non le film, mais le public était silencieux, personne ne remuait comme il m’arrive de le faire dès lors que je m’ennuie. C’est très courant, on s’aperçoit vite des gens qui s’emmerdent durant un film, surtout s’ils sont grands comme moi (Jean-Claude Brisseau mesure plus de 193 centimètres…). Du coup les autres bougent aussi et vous sentez tout de suite une atmosphère pas concentrée. Ce n’était pas le cas à cette projection. Ce qui m’intéresse c’est de voir la réaction du public populaire.


Objectif Cinéma : Je voudrais revenir sur cette filiation avec Cocteau où effectivement, comme lui, vous mettez en scène des univers parallèles se télescopant.

Jean-Claude Brisseau : Deux cinéastes m’influencent sur la narration et la construction : Alfred Hitchcock et Alain Resnais. En particulier Je t’aime, Je t’aime (1968 avec Claude Rich) que je considère comme un très grand film. Ce cinéaste n’est hélas pas à la mode et j’avoue qu’il m’a beaucoup impressionné. Si vous regardez bien le début des Savates du Bon Dieu, avec ces plans sur Coralie avec la caméra derrière (Coralie Revel, que l’on retrouve dans Choses Secrètes auprès de Sabrina Seyvécou). Je tentais de traduire de manière simple la fascination pour une femme que l’on a perdue ou que l’on va perdre. On m’a beaucoup parlé d’Hitchcock certes, c’est vrai, mais je dois beaucoup à Alain Resnais. Je voulais le regard de fascination d’un homme sur une femme. Il la regarde, mais elle ne le sait pas, il l’admire et elle ne le sait pas. Il y a quatre films de Resnais que j’aime par-dessus tout : La guerre est finie (1966 avec Yves Montant et Ingrid Thulin), L’Année dernière à Marienbad (1961 avec Delphine Seyrig) Muriel ou Le Temps d’un retour (1963 avec Delphine Seyrig et Jean-Baptise Thiérrée) et Je t’aime, Je t’aime qui en le revoyant est pour moi un chef-d’œuvre absolu. Je suis triste que ce type qui est un très grand cinéaste soit si peu à la mode dans les facs ! Je trouve ça sidérant. Rappelez-vous de La vie est un roman (1983 avec Vittorio Gassman, Géraldine Chaplin, André Dussolier, Pierre arditi, Fanny Ardant etc.…) dans lequel on voit qu’il examine toutes les formes de désillusions humaines et qu’il ne découvre... rien. C’est le thème de tous mes films c’est pour cela que j’aime tant Resnais, je projette beaucoup sur lui ! Avec chez lui un regard à la fois tendre et dur, une inquiétude froide renvoyant à la peur de la mort. Je n’arrive pas à avoir ce regard dur sur les êtres.


  Alain Resnais (c) D.R.

Objectif Cinéma : Par rapport à ce rien ; il me semble que vous accordez une grande importance à la matérialité, aux énergies vitales où le burlesque affleure parfois. Cocteau, Resnais et vous-même avez en commun, me semble-t-il, de faire des collages hétérogènes à la fois narratifs et formels.

Jean-Claude Brisseau : Dans L’Année dernière à Marienbad ; il y a un portrait d’Alfred Hitchcock à côté d’un ascenseur.  Bresson est un autre cinéaste dont je me sens proche, et en y réfléchissant je constate que la filière est la même, sauf que chez lui, il n’y a pas d’éléments fantastiques. Elle est sous-jacente, le sujet de ses films, c’est le vent souffle où il veut, et alors de temps en tant il souffle ou il ne souffle pas. Cela vient de l’Evangile selon Saint-Jean, où l’Esprit saint de Dieu passe où ne passe pas, la grâce vient d’en haut et cet Esprit saint souffle où il veut : vous l’entendez mais ne vous ne le voyez pas. Ce qui implique que vous avez sans arrêt une sorte de présence surnaturelle . Poussez à l’extrême avec Jeanne : le vent de Dieu l’a conduit à être brûlée vive. C’est un itinéraire très christique à l’évidence, mais ce qui implique, sans rentrer dans les problèmes religieux, le fait de filmer quelque chose qui plane et que vous ne voyez pas. L’invisible. Selon moi Bresson tente de filmer l’amer chez les gens avec un ennemi. Son ennemi numéro 1 est le corps, et la réalité concrète. D’ailleurs, il aurait du faire des films érotiques. D’un point de vue thématique d’ailleurs, une catégorie de cinéastes catholiques, tel Hitchcock avec la même problématique où les hommes doivent travailler. Au repos, ils sont libres et le diable va leur tomber dessus sous l’apparence de la femme ; ils vont alors en enfer. Je pousse un peu, parce que les choses sont quand même beaucoup plus complexes que ça, mais c’est la problématique d’Adam et Eve. Sur les problèmes stylistiques, Godard a eu une réelle influence sur moi. Je l’admire surtout dans la première partie de son œuvre, où on ne sait pas si c’est un cinéaste qui aime la réalité ou pas. Profondément, il tente d’échapper de la réalité en obtenant des effets de poésie ou de dérision. Quand j’étais adolescent, il me passionnait par cette façon qu’il a de dénuder ce qu’il sait prendre aux autres. Le Mépris m’a fasciné par cette propension qu’il a à vouloir fuir la réalité, pour tomber sur quelque chose d’autre.