Jean-Claude Brisseau :
C’est un film fauché, à peine trois millions
de francs en production. Interdit au moins de 16 ans, le film
n’a dès lors aucun accès aux chaînes de
télévision quant à une promotion classique,
d’ailleurs elles ne voulaient pas du film. Par manque d’argent,
et sans vedettes, aucune promotion digne de ce nom. Les salles
art et essai que l’on visait ne voulaient pas du film, ce
dans une unanimité relative, car je reçois des
coups de fil chez moi ! Il ne restait guère que la
presse, le film et moi. Excepté trois cas : Paris Première
avec Elisabeth Quin, qui a défendu le film, le Journal
de Canal Plus ainsi que Guillaume Durand qui s’est fait projeter
le film, à la suite des articles critiques élogieux
parus dans la presse. Dès lors que nous n’avions pas
accès à la télévision, la promotion
du film s’est focalisé sur moi. Bon, je ne suis pas
si content de cette situation, je ne voulais pas que la promo
se fasse essentiellement sur moi. J’aurais vivement aimé
que la promotion se fasse sur les deux comédiennes.
Heureusement Les Cahiers du Cinéma sont venus
pour un entretien de plus de quatre heures où j’espère
ne pas avoir dit trop de conneries. Je pense ne pas avoir
été trop nul. Je me sentais très mauvais
et j’ai demandé à Lalanne (Jean-Marc, rédacteur
en chef de la revue) que j’ai rencontré un jour
par hasard à Virgin, si je pouvais rectifier deux ou
trois choses. Bon, rien n’a été changé,
car tout fonctionnait. J’avais un trac fou à ce premier
entretien, je buvais bière sur bière car je
savais qu’il n’y aurait rien d’autre que cela pour la pub
(le journal fut édité deux semaines avant
la sortie du film). Si le film ne marchait pas du tout,
je ne ferais plus jamais de cinéma. Et Les
Inrockuptibles ont donné au film une belle couverture.
Objectif Cinéma :
Votre film présente
deux femmes qui veulent accéder au pouvoir et à
la richesse par le sexe. Or leurs conditions matérielles
ne changent guère. Vulgairement, je dirais qu’elles
ne sont pas devenues des poules de luxe !
Jean-Claude Brisseau :
Sachez Nadia que jamais je ne les aurais décrites ainsi,
même si j’avais obtenu plus d’argent pour mon film.
Par contre, les vêtements auraient changé très
discrètement, de même la voiture blanche à
la toute dernière scène : c’est ridicule
! On dirait un corbillard ! Mais j’assume ce sens que
je ne recherchais pas. Je ne regrette pas la musique que j’ai
prise, loin de là, mais ce choix est plus risqué
que ce qui était prévue. Cela m’aurait coûté
plus de 350 000 balles environ et on ne pouvait pas se
le permettre ! J’ai pris la musique lyrique exactement en
accord avec le sens profond du film. Mais pour les gens qui
sont contre le film ou entre deux et qu’on tombe sur la bagnole
à la fin, on risque de se fendre la gueule. Ils ont
hélas raison. Ce n’est pas ce que je voulais. Mais
si on est " dans le film ", on ne se marrera
pas. J’aurais préféré que les costumes
soient différents. Ce sont des personnages féminins
qui disent bien que ce n’est pas le cul, mais l’arme du désir
et le refus de l’accomplissement qui sont déterminants.
A partir du moment où elles montent dans l’échelle
sociale, les maquillages, les costumes devraient être
différents. Une des rares séquences dont je
suis fière - et Choses Secrètes est un
des rares films dont je suis assez fier - est la séquence
du début.
Objectif Cinéma :
Elle est magnifique !
Jean-Claude Brisseau :
Normalement ce n’était pas prévu comme ça
! J’avais fait des essais avec un mélange de costumes
égyptiens et moyenâgeux. Au moment de filmer
la scène, le premier jour du tournage : pas de
costumes, rien ! Le prétexte donné fut "
ah on nous a pas livré " etc. La vérité,
c’est que la production ne voulait pas débourser 3
000 balles de plus, alors qu’on les avait déjà
dépensés pour ces fameux essais ! Ceci dit,
je ne regrette pas ce qui a été fait. De la
même manière, pour la dernière séquence,
avec l’aigle qui vient déchiqueter le cœur. Je n’ai
pas obtenu ce que je voulais, j’ai obtenu un seul oiseau et
non les trois prévus. De même, il est prévu
que Coralie se balance du liquide sur son imperméable.
Bon, vous voyez la scène. Et bien, il n’y avait qu’un
seul imperméable. Un seul. Autrement dit, quand il
est mouillé on ne peut plus recommencer, ni même
faire des essais, alors que je dois en faire un. Nous sommes
vraiment au raz des pâquerettes, Nadia ! On me
met devant le fait accompli, sans même avoir compris
ce qui se passe. Alors heureusement, là pour une fois,
quelqu’un dans l’équipe a un imperméable ressemblant.
Il va le chercher, il y en a pour une demi-heure environ.
j’ai été à la limite de gueuler. Pendant
ce temps, je me demande comment on va faire, je n’ai pas les
oiseaux non plus. Je me démerde alors en réglant
la séquence avec Coralie.