Comme j’ai écrit
le scénario, je peux improviser de temps en temps
pour résoudre les problèmes économiques.
Et de temps en temps, quand j’improvise, alors peut-être,
j’improvise juste. C’est peut-être du bol… Pour les
oiseaux, ce qui est dans le film n’est pas ce qui était
écrit et prévu. Ce n’est pas ce que je voulais
faire. Heureusement que ce jour-là, j’avais décidé
de faire du ralenti et que la caméra était
prête. Tout le monde a été adorable
sur ce putain de film, et le gars qui réglait le
travelling et les effets spéciaux avait toujours
sur lui des pistolets à fumée. Bon, comme
il y a du feu dans cette scène, je vais faire comme
si c’était de l’essence, alors il me faudrait par
contre ajouter de la fumée. Mais il y avait du vent
ce jour-là. Je lui ai demandé d’aller chercher
de grosses bâches transparentes. On les voit !
J’ai eu le bol de tourner et de ne garder que les plans
où on ne les voit pas !
J’avais peur d’une autre chose. A un moment, Coralie embrasse
Christophe à la fin, et elle fait ça (Jean-Claude
Brisseau mime le geste de repousser ses cheveux derrière
son oreille droite). J’espère que cela prendra
un sens dans le film. Normalement, elle n’aurait pas dû
à avoir faire ça, on n’avait pas le choix,
il fallait que l’on voie son visage et l’on n’avait même
pas de quoi lui fixer les cheveux derrière ! Vous
comprenez ce que cela signifie de faire un film avec trois
briques ! (rires)
Pour le personnage de Delacroix,
restons toujours au raz des pâquerettes. Vous voyez
Delacroix dans son bureau avec la gamine et derrière
eux un mur. Ce n’est pas un mur Mademoiselle, c’est une
toile. Si vous regardez bien le film et vous faites un arrêt
sur image, vous voyez nettement qu’ils sont, non pas suspendus
par des clous, mais par un filin venant du plafond. Tout
le film a été fait comme ça. Et heureusement
que j’ai eu l’idée d’utiliser le château (situé
non loin de Joinville, dans la région parisienne)
pour le tournage entier. On voit d’ailleurs très
bien que nous sommes dans le même lieu : la scène
du restaurant avec Christophe et les deux filles sert aussi
de bureau pour la jeune Sandrine lorsqu’elle reçoit
le coup de fil de Delacroix. Pareil pour la séquence
où il baise avec les deux nanas dans le château,
il fallait donner une impression de luxe. Il n’y a rien
! Ce sont des pièces vides et c’est Lisa, ma femme
(Lisa Hérédia qui apparaît dans une
scène clé du film, dans le rôle de la
mère de Sandrine) qui a ajouté une colonne
et des rideaux rouges venant de chez nous. On a pris des
éléments personnels pour les déplacer
dans le château !
Bon, je commence en
avoir plein le cul de tout ça. Fatigué de
devoir toujours sacrifier pour chaque détail. Sans
avoir l’air d’être des putes de luxe, les filles auraient
dû avoir le maquillage qui change discrètement,
tout comme leurs vêtements ! Le budget de ce film
était plus que limité. Alors que dans L’Ange
Noir il y avait trois millions de francs de costumes !
C’est la Maison Dior qui a créé les costumes
de Sylvie Vartan. Nous n’avons pas payé un centime
car Sylvie était là pour faire la publicité
de Dior. Les grands couturiers ont travaillé une
semaine durant pour rien. Et là, pour avoir un jean,
il fallait payer alors qu’on n’avait pas l’argent ! Pour
la scène finale de partouze au château, on
a improvisé en jetant des tissus sur le dos de Sandrine.
Mais le pire pour moi, c’est Christophe. Il devait avoir
la classe de Cary Grant pendant tout le film. C’est-à-dire
des vêtements discrets et élégants.
D’une élégance telle, que seuls les gens qui
ont l’œil le voient. On ne les avait pas. Il est habillé
n’importe comment, avec des habits de prolo. Delacroix aussi
aurait du être vêtu différemment.
Objectif Cinéma :
Trois millions de franc est un budget dérisoire à
l’heure actuelle où la moyenne d’une production d’un
long-métrage français oscille entre 10 et
20 millions. Sans l’Avance sur Recette que vous avez obtenue,
le film n’aurait pas pu se faire ? Jean-Claude Brisseau :
Non, et je n’y croyais pas à l’époque. Le
film a été fait avec les 2,5 millions d’Avances
sur Recettes, 300 000 balles qui me restaient du fond de
soutien et le CNC. Normalement, on aurait dû avoir
250 000 balles d’avance de Rézo Films. Seuls 25 000
balles ont été données…il y a un mois !
Avant même que ne commence la sortie, Rézo
avait un trou dans sa trésorerie de plus de 300 000
balles, plus 225 000 au niveau de la production. En gros,
500 000 balles, sur lesquels on a payé des agios
durant un an. Mais, ma grosse question sur le film était
de savoir comment filmer le sexe. Il y a d’ailleurs une
scène clé que vous ne trouvez pas dans le
film tel qu’il est. Elle tombait au bout de trois-quarts
d’heures de film.