Objectif Cinéma :
Comment s’est construite la cohérence
globale de la programmation ? Comment s’est constituée
la section transversale consacrée à " la
vitesse " ?
Bernard Bénoliel:
Les transversales thématiques se sont développées
avec Janine Bazin, mais j’essaie depuis cette année
de travailler la thématique choisie selon un angle
un peu particulier : j’aime quand cette dernière
nous informe aussi sur le cinéma en tant qu’art. D’où
l’idée de la vitesse. Cette idée est née
tout simplement en regardant Point Limite Zero de Richard
Sarafian pour la première fois. Le film m’a sidéré.
Je me suis dit alors qu’il ne fallait pas faire une programmation
sur la voiture, mais en revanche sur la question de
la vitesse. Et de toutes les vitesses, car le cinéma
s’est nourri depuis l’origine d’un éventail de vitesses
disponibles. Certains films combinent en leur sein et parfois
en un seul plan, toutes les vitesses. Cela les rend d’autant
plus beaux et émouvants. Regardez par exemple comment
dans Matrix, tout à coup, dans un plan, à
la sidération du spectateur, on combine plusieurs vitesses.
L’émotion jaillit de la forme, presque du dispositif.
La section " vitesse " était autonome
à l’origine, mais je me suis aperçu ensuite
que l’hommage prévu cette année à Denis
Lavant était d’autant plus évident qu’on y retrouvait
Mauvais sang, un film que j’aurais pu programmer dans
" la vitesse ". Tout est cohérent.
De même, je tenais absolument à montrer l’intégrale
des films des groupes Medvedkine. Et d’une certaine manière,
les groupes Medvedkine m’ont donné l’idée de Cimino :
je voulais mettre en parallèle un cinéaste qui
serait à l’opposé, tout en leur ressemblant d’une
certaine manière. Il n’y a pas 36 cinéastes hollywoodiens
romanesques qui parlent aussi de la lutte des classes… Cimino
est apparu comme un contre-point inattendu, qui pouvait cependant
dialoguer. Mais ma plus grande joie a été de voir
l’affluence du public aux projections du groupe Medvedkine.
C’est ce qui a le mieux marché ! A certaines séances,
il y avait plus de monde qu’à Sergio Leone !
Objectif
Cinéma : L’hommage
aux Groupes Medvedkine inscrit la programmation du festival
dans le territoire régional.
Bernard Bénoliel :
J’aurais pu programmer les groupes Medvedkine à St
Tropez ou ailleurs, mais cela n’aurait jamais eu la même
résonance. Pour moi, ce cinéma a un enjeu
qui dépasse ceux du cinéma militant et du
cinéma régional. Mais comme je m’occupais
du festival de Belfort en Franche-Comté, cela aurait
été " cracher dans la soupe "
que de ne pas jouer de cette coïncidence entre ces
films et les lieux où ils ont été tournés.
Tout d’un coup, cette programmation a réveillé
quelque chose de l’identité ouvrière
de la région, de la transmission, de la possibilité
d’échanger. D’où les salles pleines. Il faut
arrêter de penser que ce cinéma-là est
uniquement militant ou régional. Ce n’est pas vrai,
c’est du cinéma à part entière, point.
Objectif Cinéma :
Quelle liberté de manœuvre
avez-vous vis-à-vis des pouvoirs publics ?
Bernard Bénoliel :
Je dis chaque année à Jean-Pierre Chevènement,
président du festival, ce que je compte faire, et
il me laisse, comme à Janine Bazin, une liberté
absolue. Avec cette liberté-là, on peut faire
d’un festival un laboratoire grand public et tenter le paradoxe
entre une programmation qui, sur le papier, paraît
rigoureuse ou élitiste, et une fréquentation
de 12 000 spectateurs en 9 jours (2002).
C’est parce que je connaissais cette liberté de travailler
que j’ai accepté d’être le délégué
général du festival. Après, c’est à
nous de combler l’écart qu’il peut y avoir entre
une programmation à priori " difficile ",
et la fréquentation la plus élevée
possible. Je fais le festival pour les spectateurs et avec
eux. Et c’est pour ça que le succès des Medvedkine
m’a tellement apporté : ces ouvriers ont soulevé
à eux seuls tous ces interdits culturels (du style
" ce n’est pas pour nous, on n’y a pas droit,
on ne saura pas, on ne comprendra pas… ")
et ils sont passés à l’acte, ils ont transgressé
un ordre psychologique établi. Et ils ont
fait des films. C’est ce que j’attends idéalement,
et dans une moindre mesure, des spectateurs : qu’ils
arrêtent de penser que ce n’est pas pour eux, qu’ils
ne vont pas comprendre, qu’ils n’y ont pas accès,
que c’est du cinéma difficile…
C’est pour cela qu’il est très important de présenter
les films : si les gens font l’effort de venir jusqu’au
film, il reste ensuite un écart qu’on peut continuer
à combler en faisant le " go-between "
entre l’écran et la salle. Et c’est ce que j’espère
du spectateur quand il rentre dans la salle. Je leur dis :
" N’ayez pas peur du film, si le film vous
dégoûte c’est peut-être bien, c’est même
tant mieux".