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  Cavale (c) D.R.

Objectif Cinéma : La fin de Cavale est très mystérieuse...

Lucas Belvaux : (rires) Non, je ne trouve pas. J'aime surtout l'idée qu'il "disparaît dans la nature" comme le dit Pascal Manise (Gilbert Melki) dans le troisième film. Je ne voulais pas que ce personnage ait une fin misérable, il valait mieux que de se faire tuer d'une balle dans une fusillade par exemple. Je voulais qu'il laisse apparaître jusqu'au bout cette obstination à ne jamais laisser tomber les bras, tout en gardant cette envie de vivre. Je trouve aussi que dans son combat contre la société, il n'y a ni vainqueur ni vaincu, il n'a pas gagné, mais il n'a pas perdu car la société n'a pas non plus les bonnes réponses. C'est l'idée que la terre est plus grande que nous, et qu'au bout du compte, c'est la Terre, le Cosmos qui gagne. Nous sommes dérisoires, tout petits. On a beau s'étriper, polluer, tuer des gens, qu'est-ce qu'une vie d'homme à l'échelle de la terre ? Ce n'est rien du tout. J'aimais bien l'idée que la nature ait le dernier mot.


Objectif Cinéma : Tous les personnages ont l'air traqués…

Lucas Belvaux : Oui, ils ont tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Et quand ils ne l'ont pas, ils se la fabriquent. Je pense qu'on est dans une société où on vit tous dans une espèce d'angoisse permanente (que ce soit le chômage, les attentats, les nouvelles maladies, la vache folle, le sida) et au bout d'un moment, on a tous peur de quelque chose. Les films baignent dans cette ambiance-là, et reflètent plus que l'intimité des personnages.

Ornella Muti dans Pour rire (c) D.R.

Objectif Cinéma : J'ai vraiment l'impression que la trilogie est la traduction grand public des théories sur le montage de Lev Koulechov (établissant qu'un cinéaste peut créer aussi bien l'expression de l'acteur qu'un espace ou une action imaginaires, ndr)...

Lucas Belvaux : Evidemment…Je suis un grand fan de Koulechov. Dès l'écriture, il y a eu un exemple d'effet Koulechov, pas tellement sur l'image mais plus sur le dialogue. Dans Un couple épatant, Pascal (Gilbert Melki) quitte la fête avec sa femme, et la séquence se termine par un gros plan du docteur (celui qui n'arrive jamais à emballer les filles) qui commente ce départ par un sonore "Efficace !". La séquence suivante du débat à l'école débute par la réplique de Pascal : "Je suis flic, on me paye pour ça". L'effet comique vient de l'ellipse et de la réponse.

Dans Après la vie, la même réplique ouvre la séquence du débat ("Je suis flic, on me paye pour ça"), mais précédée cette fois-ci d'une scène où le flic shoote sa femme. Là, la réplique sonne différemment, l'effet n'est plus le même. Il glace même plutôt le sang. C'est l'exemple le plus frappant, mais il y en a d'autres ailleurs. On a failli en rajouter d'autres au montage. Il y a aussi justement des effets de montage tel que celui-ci : dans Un couple épatant, Cécile (Ornella Muti) demande à Bruno Leroux s'il a un métier. Leroux répond : "Oui je suis aléseur fraiseur ". Elle enchaîne : "Je vais demander à mon mari s'il a besoin d'un aléseur fraiseur, mais ça risque de prendre un moment." Dans Cavale, la séquence se termine avant "vous avez un métier", Cécile dit simplement "vous allez pouvoir rester ici". Dans Cavale, ce qui intéresse Leroux, c'est de savoir s'il va pouvoir rester ou pas. La fin de la séquence n'est pas importante. A l'origine, nous avons tourné la séquence entière avec les trois répliques qui suivaient. Si on allait jusqu'au bout, cela donnait "Vous avez un métier ? - Oui je suis aléseur fraiseur", on coupait et on le voyait alors en train de prendre ses pistolets et son gilet pare-balles, pour se rendre juste après à la fusillade, et là, il y avait un effet comique. C'était très drôle, mais je n'avais pas envie de cet effet-là, à ce moment-là, dans le film. Mais pour répondre à votre question, oui, c'est un projet Koulechov.

  Tournage - Lucas Belvaux (c) D.R.

Objectif Cinéma : C'était conscient de votre part...

Lucas Belvaux : Oui. À partir du moment où je pars sur un projet comme ça, il y a aussi des enjeux théoriques. Je les assume et ça m'amuse. C'est aussi pour ça que je le fais. Et en même temps je ne suis pas théoricien, j'ai deux ou trois bases, je n'ai pas fait d'école, je lis peu ou pas du tout de revues théoriques sur le cinéma, je ne suis pas "structuré" comme ça...