Objectif Cinéma :
On retrouve effectivement
cette problématique dans votre film. Le Forum de
Davos est empreint de cette logique de l’expertise (ou de
la pseudo expertise). C’est une logique qui exclut, en laissant
penser qu’il s’agit de problèmes très compliqués
que seuls comprendront les spécialistes. Christopher Ygddre :
Du côté de Porto Alegre, on va rencontrer des
gens qui ont toutes les compétences scientifiques
requises pour parler de telle ou telle chose. La grande
différence, c’est qu’à Davos, des gens vont
valider leurs opinions politiques à travers leurs
compétences scientifiques. Par exemple, Alain Minc
dit : " la démocratie n’est pas l’état
naturel de la société, le marché l’est ".
Ce n’est pas un fait, mais une opinion politique. Donc,
il y a des gens qui ont l’honnêteté intellectuelle
de faire la part des choses, d’un coté des convictions
politiques et culturelles, de l’autre des compétences
scientifiques, mais qui ne font pas passer les premières
pour les secondes, et puis d’autres qui veulent légitimer
des choix purement politiques par l’objectivité de
la science. Mais l’on sait, grâce aux travaux de certains
chercheurs, qu’il n’y a pas de découverte scientifique
qui ne soit enserrée dans un réseau d’intérêt
politiques, économiques. De même qu’il y a
la belle illusion de l’objectivité médiatique,
il y a la belle illusion de l’objectivité scientifique.
Mais les gens sont de moins en moins dupes. Testart (le
père du bébé éprouvette) propose
que se constituent des comités de citoyens qui prennent
les décisions sur tel ou tel sujet, par exemple sur
la génétique. Pourquoi il n’y aurait pas des
jurys de citoyens, comme il y en a pour les procès
d’assises, pour juger la validité éthique
de telle expérience scientifique.
Objectif Cinéma :
C’est bien là un
débat touchant à la civilisation, qui est
posé par cette confrontation Davos / Porto-Alegre.
Vincent Glenn :
Il faut éviter les caricatures. Personne à
Porto Alegre ne disait : " On n’a pas besoin
d’expert " ! En termes de civilisation,
on est à un moment critique. Par exemple, le progrès :
on a perdu cette espèce d’horizon toujours renouvelé,
l’idée d’un progrès allant toujours dans
le bon sens. Depuis la renaissance, on se dit qu’il y
a une rationalité et qu’on va aller vers une maîtrise
toujours plus grande de la nature. Après le XXe
siècle, après Hiroshima, on ne peut plus
dire ça. On a vu qu’il y avait aussi un progrès
dans la destruction. Il y a des tendances très
opposées dans le statut même du savoir. Par
exemple, à l’école, le conflit entre les
républicains et les pédagogues. Pour les
premiers, les maîtres détiennent le savoir
et doivent le délivrer à des élèves
ignorants. Pour les seconds, le savoir c’est ce qui circule
entre celui qui sait et celui qui apprend ; il y
a donc un enjeu de partage et l’utopie porte sur le partage
du savoir.
Objectif Cinéma :
Dernière question
très concrète : Votre film se passe
donc dans deux endroits très éloignés.
Qui est allé où ? Vincent Glenn :
Nous sommes allés tous les deux à Porto
Alegre. A Davos, c’est un complice de longue date, Philippe
Larue, qui est parti, avec un ingénieur du son.
Et l’on communiquait chaque jour.