Objectif Cinéma
: Vous parliez d'une nouvelle
texture. La pluie a-t-elle les corps de vos acteurs, et surtout
de votre actrice, plus séduisants? Vous représentez
Tokyo de manière urbaine / moderne / froide (votre
noir & blanc dans l'image met une distance entre le film
et le spectateur). Voyez-vous toujours Tokyo de cette façon
? Snake of June a-t-il changé cela ?
Shinya Tsukamoto
: Je n'y avais pas pensé, merci ! Vous avez raison, la
pluie affecte les corps, mais aussi la ville telle que je la
filmais, c'est vrai. Enfin, la pluie rend tout ca plus chaud.
On dit souvent que Tokyo est une ville froide, avec des immeubles
partout, les trains, l'industrie… Mais lorsque tombe cette pluie,
Tokyo devient sur un mois une ville presque tropicale, on voit
la vapeur qui monte, qui s'élève. La pluie donne
à la ville une autre matière, moins urbaine. Cette
vapeur serait un peu ma fuite du cinéma du genre ? (rires)
Objectif Cinéma
: Dans Tokyo Fist
/ Bullet Ballet / Snake of June, vos actrices,
les personnages féminins, semblent avoir de nombreux
points communs. On dit souvent que vos films touchent surtout
un public masculin, et pourtant les femmes sont très
fortes dans vos films; qu'en pensez-vous ? Fuir le cinéma
de genre pour vous, est-ce aller à la rencontre du
public féminin du Japon ?
Shinya Tsukamoto
: (rires)... Je crois qu'il faut des femmes fortes,
et en général plus fortes que les personnages
masculins de mes films, pour affronter ce qui se joue dans
le récit, dans le scénario. Hélas je
doute que mes héroïnes correspondent aux attentes
du public féminin, du moins à Tokyo. Cependant,
il serait faux de dire qu'elles boudent mes films, et je
ne compte pas adapter mes projets de cinéma pour
en attirer davantage. Mais vous savez, il y a pire, aucune
femme au Japon ne regarde ni s'intéresse aux films
de Takashi Miike !
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Objectif Cinéma
: Et croyez-vous que votre
univers, les thèmes de vos films, touchent les jeunes
Japonais dans la vingtaine ?
Shinya Tsukamoto
: Je le crois, du moins j'ai l'impression en jetant un coup
d’œil dans les salles. En fait, je ne sais pas si c'est
pour mes films, leur style, ou si ce sont les histoires.
Au début, mon public était attiré par
les deux aspects de mes films, forme et récit, aujourd'hui...
Objectif Cinéma :
Vous intéressez-vous
à la génération de réalisateurs
Japonais qui ont dans la trentaine ? On vous regroupe avec
d'autres comme Kurosawa, Miike, ceux qui ont un public à
l'étranger. Mais que pensez-vous des réalisateurs
de ces dernières années ?
Shinya Tsukamoto
: Vous avez vu cette nouvelle revue ici à Tokyo,
Invitation ? Sur la couverture, on trouve une foule
de gens qui représentent, selon la revue, le cinéma
japonais aujourd'hui : des réalisateurs, des acteurs,
et beaucoup d'idoles ! La couverture se déplie, et
vous trouvez complètement à gauche, pas sur
le dessus, Takashi Miike, et moi. Nous sommes la marge !
Par contre, on ne voit pas Takeshi Kitano, peut-être
était-il occupé ce jour-là... Mais
j'aime Kitano, bien qu'il ne soit pas de la même génération
que moi. Nous avons fait nos premiers films la même
année, en 1989. J'aime bien Cure de Kurosawa,
les autres un peu moins, certains passages de Miike...
Objectif Cinéma :
Entendu, mais sur cette couverture, tous les réalisateurs
sont apparus dans les années 80, ou à la fin
de cette décennie. Il y a une autre génération
derrière la vôtre : Shunji Iwai, Katsuhito
Ishii, Isao Yukisada, Toshiaki Toyoda, etc.
Shinya Tsukamoto :
J'aime bien Yukisada, avec qui j'ai travaillé, et
qui avait travaillé avec moi comme 2ème
assistant réalisateur sur une série télé
que j'ai réalisée il y a quelques années.
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Objectif Cinéma :
Il a obtenu le premier prix au festival de Marrakech, pour
Go. Jeanne Moreau, sur le jury de ce festival, était
à Tokyo pour le festival international de cinéma.
Elle a profité du voyage pour lui remettre le prix.
Dans Tokyo Fist & Bullet Ballet, le Salary
Man, le mari, c’était vous. Vous vieillissez, votre
cinéma devient-il plus mûr ? Pourquoi avez-vous
donné le rôle du mari salaryman à un
autre acteur ?
Shinya Tsukamoto :
(rires) Oui, d'une part, je vieillis, c'est vrai
! Mais j'ai aussi de plus en plus de plaisir à jouer,
et le rôle du photographe me semblait bien plus intéressant.
J'avais envie de ce rôle de méchant.