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Objectif
Cinéma : Patrice Leconte
change régulièrement ses collaborateurs : compositeurs,
chef opérateurs, scénaristes… sauf vous. Comment expliquez-vous cette
fidélité ?
Ivan Maussion : Il ne
faut pas oublier Joëlle Hache, qui est la monteuse de tous
ses films depuis plus de vingt ans. J’ai fait dix-huit films
avec Patrice Leconte et j'en suis très heureux. C’est
une collaboration unique au monde - à ce qu’on m’a dit. Je
l’explique par une vision commune : un œil, une manière
de sentir un repérage par rapport à un scénario, la lumière
dans un décor, la place de la caméra. Il y a une complicité
totale. Il nous arrive de discuter longuement, et parfois,
quelques minutes nous suffisent pour parler d’un film qui
comporte une trentaine de décors.
Objectif Cinéma : Est-il
exigeant sur le décor ?
Ivan Maussion : Je le
pense. Patrice a été illustrateur, dessinateur. Il appartient
au monde de l’image. Il n’est pas arrivé à la qualité de son
travail actuel sans avoir quelques neurones bien trempés dans
les domaines esthétique et artistique.
Nous partageons la même passion pour la lumière. Ensemble,
on évoque davantage la lumière que le décor. Est-ce qu’on
est en jour, en nuit, en soir ? Combien de fenêtres,
et où ? Est-ce qu’on met des verrières ? On ne parle
pas tellement de style d’architecture, mais d’accroche de
la lumière sur le décor.
Comme moi, Patrice aime tourner en studio, mais pas pour le
plaisir de déplacer le décor ou d'éclairer
par le plafond. Curieusement, il y travaille comme avec les
contraintes des décors naturels. Il ne mettra jamais
l'optique de la caméra plus loin que le bord d'une
pièce. En 23 ans, il lui est arrivé très
rarement de faire bouger une feuille-décor.
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Objectif
Cinéma : De film en film,
Patrice Leconte change d’atmosphère, d’époque, de style, passe
de la couleur au noir et blanc. Il vous faut à chaque fois
réinventer ?
Ivan Maussion : Mais dans
le cinéma, il n'y a jamais deux scénarii ni
deux décors qui se ressemblent. Il est vrai que Patrice
change beaucoup d'univers mais c'est une façon de se
ressourcer, comme une nouvelle respiration. En se renouvelant,
je pense que l'on s'enrichit, on aborde mieux le travail suivant.
C'est une remise en question permanente, il n'y a pas d'attaches
ou d'obsessions. Juste l'envie que le cinéma, l'histoire,
les personnages, les images soient un voyage.
Objectif Cinéma : Ses
premiers films se situent dans des décors réalistes et contemporains,
et par la suite, il tourne des films d’époque à l’image plus
soignée, voire stylisée… Y a-t-il une incidence sur le décor,
par exemple au niveau du budget ?
Ivan Maussion : A l’inverse
de ce que l’on pourrait croire, on a eu des budgets de plus
en plus réduits. Depuis que j’ai commencé, en 1978, on me
dit : « Attention Ivan, maintenant c’est la crise,
les budgets ne sont pas comme il y a cinq ou dix ans ».
J’entends cela tous les ans depuis vingt-cinq ans. Au
début, j’étais entouré de dessinateurs, de plusieurs assistants.
Aujourd’hui, c’est plus difficile. On travaille en équipe
réduite, sinon les films se font à l’étranger.
Je peux citer Rue des plaisirs. J’avais chiffré
un premier devis et on m’a dit : « A ce prix-là,
on sera obligé de tourner le film en Allemagne ».
J’ai dû faire le même décor avec trois ou quatre fois moins
d’argent.
Mais en dehors des prouesses que l’on doit faire au niveau
budget, le travail de décorateur n’est pas assez reconnu.
C’est un métier qui demande un grand investissement personnel.
Il y a une énorme quantité de travail, on doit faire face
aux imprévus, on peut très bien nous demander de remeubler
entièrement un décor pour le lendemain. Etre décorateur
ne consiste pas à se lever à l’heure, prendre ses outils et
pointer au studio.
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