De même, la plupart
des plans de matière filmés dans l’usine sont nées de la réalisation
de ce prologue. J’avais, pour ce film, des idées assez abstraites,
mais claires. L’idée de construire un rapport entre la matière,
les cycles de fabrication, de destruction, et une histoire
classique, a aiguillonné mon attention au cours des repérages.
Je me demandais comment je pouvais intégrer tout ce que je
trouvais. Il y avait plein de possibilités, on a fait certains
choix pour que tout soit esthétiquement cohérent.
Pour le feu d’artifice, personne ne voulait entendre parler
de plans flous. J’en ai cadré certains moi-même, en me disant
que je voyais enfin les atomes dont on avait parlé tout le
temps pendant le film. Au montage, je me suis aperçu effectivement
qu’il y avait une sorte de mouvement, de zoom avant qui partait
de la matière apparente pour arriver à cette bataille d’atomes.
Une autre fin était prévue, mais elle n’était pas bonne, il
a fallu batailler pour monter la fin qu’on voit dans le film.
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Objectif Cinéma :
Batailler ?
Philippe Chapuis :
On avait deux ou trois fins différentes qu’on avait tournées.
La première, tournée d’après le premier scénario, ne fonctionnait
pas, c’était une rencontre entre Antoine et l’homme mystérieux.
La deuxième était une correspondance entre le début et la
fin du film, j’avais tourné une scène dans un marché aux
fleurs où Antoine se promenait, on retrouvait des plans
identiques à ceux du métal, sauf que c’était des fleurs.
Les types de cadre étaient les mêmes, je voulais associer
ainsi le métal et le végétal. Mais ça faisait un peu trop
théorique et fabriqué. Le rappel du feu d’artifice qu’on
avait vu dans le film - en tant que feu d’artifice - s’est
peu à peu imposé. Comme cette manière beaucoup plus elliptique
de montrer l’homme mystérieux qu’Antoine aperçoit la nuit
dans l’usine. J’ai monté cut le gros plan de son visage
avec celui du feu d’artifice, pour éviter un pathos. Ce
montage conduit vers quelque chose de plus métaphysique.
Ainsi cet homme n’est pas réduit à sa condition.
Objectif Cinéma :
Dans Antoine travaille, on ne sait pas si Antoine
voit la réalité ou s’il a des hallucinations. Le film devient
une sorte de mise en perspective de ses propres images mentales.
Philippe Chapuis :
Cette idée est venue au tournage et au montage. Je ne l’avais
pas complètement prévu. Je me disais qu’il était possible
de mener de front l’aspect naturaliste de l’histoire et
l’autre aspect, plus sous-jacent. Au montage, je me suis
aperçu qu’on ne pouvait pas faire coexister des éléments
hétérogènes à ce point-là dans un film. J’ai enlevé beaucoup
de scènes explicatives au profit d’une dimension plus mentale.
De là est née pour moi, de manière beaucoup plus frappante
et intéressante que dans le scénario, l’ambiguïté sur le
statut de ce qu’on voit. J’ai eu cette intuition en tournant :
cette usine produisait sur moi un effet qui dépassait la
simple perception naturaliste, je l’imaginais plus que je
ne la voyais. On s’est donc dit qu’il fallait vraiment renforcer
cette perception en ré-éclairant l’usine, renforçant les
couleurs et travaillant particulièrement le son. On a voulu
placer Antoine dans un univers dont on sait très bien d’emblée
qu’il n’est pas complètement naturaliste. Cela signifiait
jouer sur les deux tableaux et créer cette ambiguïté d’une
histoire réelle et étrange. Cela peut se créer ponctuellement,
par exemple en parlant d’un hors champ par définition invisible :
Antoine propose un livre à Marc, il lui parle du livre qu’il
lui avait évoqué auparavant, mais on a pas vu la scène en
question. Dans la succession des séquences, cela signifie
qu’on a pas tout vu en réalité. Il y a eu des ellipses.
On se dit que les moments auxquels on assiste sont ceux
qui ont été certainement les plus marquants pour lui mais
ça ne veut pas dire que ce sont « tous les moments »,
ils sont connotés d’une question un peu cachée : pourquoi
ces moments-là l’ont marqué et pourquoi pas d’autres ?
On sent que c’est lié à la matière, au temps, à la perte
de repères, à cette espèce de perception de l’usine comme
un corps vivant, comme un microcosme dans lequel il s’est
fondu.
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