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Objectif Cinéma :
On ne sait pas combien de
temps Antoine reste à l’usine… C’est très intemporel. Il
peut y rester plusieurs mois ou plusieurs jours, ça revient
presque au même.
Philippe Chapuis :
Le film s’est vraiment construit contre le scénario. Dans
ce dernier, il y avait au départ beaucoup d’indications
temporelles très précises. Au tournage, voyant la tournure
que prenaient les événements, et grâce au recul que j’avais
par rapport à la première partie du tournage, je me suis
dit que ce n’était pas la bonne direction vers laquelle
il fallait aller. Et puisqu’on était dans cette perception
étrange, ce n’était pas important de ne plus arriver à distinguer
quel jour on était.
Je pensais à cet univers mental dont on vient juste de parler,
mais je souhaitais aussi arriver à donner de l’intérieur
une idée de ce genre de travail. C’est pour cela qu’existe
la scène de son rêve où il entend encore les pas qu’il fait
dans la journée. L’usine continue à déteindre sur lui au-dehors,
le travail pèse sur lui-même quand il est chez lui, dans
ses loisirs, etc. C’est un dressage. Il a été dressé pour
être conforme à cet espace.
Objectif Cinéma :
D’où est venu le titre, Antoine travaille ?
Philippe Chapuis :
Le film s’est appelé comme ça dès le départ, mais je ne
me rappelle plus pourquoi ! Il a failli s’appeler
à un moment « Ex Nihilo » en référence à la création,
au latin, etc, mais c’était un peu trop abstrait, et puis
on est revenu assez vite à Antoine travaille. Le
terme « travail » est pris dans le sens le plus
vaste et le plus métaphysique du terme. Pour lui, il y a
d’un côté ce travail intellectuel habituel qui a tendance
à le couper un peu du monde, ou qui lui fait percevoir le
monde un peu différemment de la perception commune. Et de
l’autre, celui de l’usine, radicalement différent.
Certaines personnes ont trouvé la vision du film esthétisante,
pour moi elle est absolument justifiée par le point de vue
du personnage principal, Antoine. Je n’aurais pas du tout
envisagé de filmer de la même manière un ouvrier qui travaille
à l’usine depuis vingt ans. On a tourné dans cette usine
pendant quinze jours complet, douze heures par jour, et
cela nous a donné une très vague idée de ce que c’est que
de vivre longtemps dans l’usine, (par rapport aux sons,
à la chaleur, aux choses que l’on ressent). Le parcours
d’Antoine ressemble au mien et à ceux des gens qui ont participé
au film. Il faut vraiment prendre le film comme le point
de vue d’une personne venant de l’extérieur.
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Objectif Cinéma :
Comment as-tu rencontré Guillaume
Rannou, qui interprète Antoine ?
Philippe Chapuis :
On s’est rencontré à la Fémis. Guillaume était venu travailler
sous la direction de Catherine Breillat à un atelier de
direction d’acteurs. Il a fait le Conservatoire de Paris,
puis il a travaillé dans le théâtre de rue, dans sa compagnie
et dans différents spectacles avec Olivier Py. On avait
discuté, il m’avait invité à quelques spectacles qu’il avait
fait, puis il m’a aidé à terminer un film en faisant des
voix-off, etc. Comme on s’était bien entendu, j’avais envie
de retravailler avec lui. A l’origine, Antoine travaille
était un scénario écrit pour la Fémis, c’était une commande
scolaire. Au fur et à mesure, il a intéressé Château-Rouge
Productions qui m’ont proposé de le réaliser. J’ai alors
pensé à Guillaume. Pour Antoine, je souhaitais éviter un
certain type de cliché : il ne devait pas ressembler
trop à un étudiant, il un côté un peu décalé, un peu vieux
pour un étudiant, et il a des attitudes que j’aime, par
rapport au monde dans lequel il évolue dans le film. Il
y a eu de fortes tensions au cours du tournage de certaines
séquences, notamment toutes les scènes dialoguées car on
n’était pas d’accord sur la façon de procéder. J’étais très
crispé parce que j’en avais peur, donc je l’ai assez maltraité
à des moments, j’avais un peu l’impression, après coup,
de le traiter comme un robot, en lui disant de faire ça
et ci.
On s’attache à la fois très fortement à Antoine, et en même
temps, il est très opaque. Par ailleurs, on retrouve une
impression de tristesse dans son personnage, alors que rien,
objectivement, dans le scénario, nous renseigne sur cette
tristesse. C’est une impression générale qui ressort. Peut-être
qu’on projette aussi sur lui la dureté de l’univers de l’usine.
Pour le rôle de Marc, je ne voulais pas d’un ouvrier. Pour
moi, il n’y a pas d’images d’ouvriers. Il n’y a que des
clichés d’images d’ouvrier dans lesquels je ne voulais pas
tomber. J’ai donc pris un comédien et metteur en scène pour
l’interpréter.
Objectif Cinéma :
Il n’y a que des comédiens professionnels dans le film ?
Philippe Chapuis :
Non. A part Marc, Antoine et les gardiens, toutes les autres
personnes qu’on voit sont des ouvriers de l’usine. J’avais
envie que les gens qu’on voit travailler soient de « vrais
gens ». Il y avait dans cet usine un groupe de théâtre
qui s’est intéressé au projet.