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Objectif Cinéma :
Antoine travaille
s’est tourné en deux fois. Comment se sont passés ces deux
tournages ?
Philippe Chapuis :
Le premier tournage s’est déroulé à l’été 2000. Il comportait
les séquences du feu d’artifice, de l’appartement d’Antoine
et des scènes d’extérieur, notamment deux grandes séquences
qui ont en partie été supprimées, notamment une scène d’ouverture
sur les berges de la Loire qu’on a pas pu tourner pour des
questions de météo, des scènes dans les ruelles de Tours
qui ont disparu aussi, la rencontre avec l’homme, à la fin,
dont on gardé que les plans d’approche, et le prologue,
la casse de métal du début. Dans le deuxième tournage, on
est retourné à Tours pour tourner toutes les scènes de vestiaire,
cuisine, qui n’étaient pas dans la même usine, la nouvelle
fin avec le rond-point, etc, la séquence du marché aux fleurs
qu’on n’a pas gardé, et le tournage dans l’usine pendant
une dizaine de jours.
Objectif Cinéma :
Pourquoi ces deux tournages ?
Philippe Chapuis :
Pour des raisons d’organisation d’abord. On aurait dû faire
tout d’un coup, mais la production était sur un autre projet
plus lourd que prévu, qui a retardé les repérages.
Mais le film n’aurait peut-être pas été plus facile à faire
autrement. Il aurait peut-être même été raté. Ce tournage
en deux parties m’a permis d’avoir un recul par rapport
à ce qui avait été tourné, de me demander dans quel sens
allait le matériau que j’avais déjà, dans quel sens je devais
poursuivre. Pour mes futurs projets, j’essaierais de morceler
un peu le tournage pour avoir ce recul. Tourner tout d’un
seul coup nécessite de savoir d’un bout à l’autre tout ce
qu’on veut.
J’essaye au contraire de sentir où va le matériau. Ce qui
est important au bout du compte, ce n’est pas la cohérence
écrite mais la cohérence organique des images entre elles,
voir si les plans fonctionnent les uns avec les autres,
si les scènes se répondent. Mais ce n’est plus dû au scénario.
C’est dû à une cohérence de tournage. Il est passionnant,
comme je le disait tout à l’heure, de réaliser une séquence
matrice, comme celle du prologue, et de la décliner en d’autres
séquences par la suite.
J’avais appris tout cela au cours d’un stage très intéressant
à la Fémis avec Philippe Garrel. Il m’avait dit aimer beaucoup
tourner ses films dans l’ordre, parce qu’il voulait être
sûr de la fin avant d’avoir tourné le début. C’est tout
simple mais très important, parce que dans une démarche
comme la sienne - et un peu comme celle d’Antoine Travaille
à un autre niveau - la logique filmique prend très vite
le pas sur la logique du scénario. Tout peut arriver, on
peut inventer des plans, des situations… Le scénario sert
de trame mais ce qui compte avant tout, c’est ce que le
film commence à faire naître et qu’il faut absolument garder.
Et ça, le scénario ne peut pas le prévoir a priori. Là on
est dans un certain type d’approche du cinéma, où la dramaturgie
compte moins que la cohérence filmique.
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Objectif Cinéma :
Comment es-tu arrivé à « vendre »
un tel film, où le scénario finalement compte peu, à des
commissions d’aide au court-métrage, dont les critères de
sélection sont basés sur le scénario ?
Philippe Chapuis :
Il faut les séduire sur un malentendu. C’était le cas pour
Antoine travaille. Dans les commissions de sélection,
il y a par définition plusieurs personnes qui siègent. Il
faut donc qu’elles arrivent entre elles à un consensus.
Souvent, ce consensus s’accompagne d’un nivellement par
le bas.
Pour Antoine travaille, je n’arrivais même pas à
l’imaginer à l’avance ce que serait le film, alors c’était
encore moins le cas pour eux !
Il y a eu beaucoup de versions pour arriver à un scénario
convaincant sur le plan de la narration et de la dramaturgie,
avec un minimum syndical scénaristique pour faire en sorte
que tout le monde arrive à peu près à y croire, et à comprendre.
Le scénario était accompagné d’une note d’intention assez
détaillée expliquant comment je souhaitais raconter cette
histoire. Mais nous n’avons pas reçu tout de suite des aides.
Personne n’a été spontanément séduit, il a fallu retravailler,
puis le représenter à l’APCVL et au CNC.
A chaque fois, dans toute l’histoire du film, des gens ont
à un moment défendu bec et ongle ce projet tout en étant
minoritaires. Aussi bien dans les commissions d’aide au
court métrage que dans les jurys.
La majorité des courts-métrages fonctionnent sur certains
schémas et certaines attentes. Antoine travaille
est en rupture avec 99% des attentes car il est plus long,
son action est plus diluée, il a aussi des défauts. Le fait
de commencer sur du latin n’aide pas par exemple...