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Objectif Cinéma :
Comment considérez-vous l’œuvre
cinématographique de Chaplin dans le cinéma américain ? Est-il
d’abord un cinéaste américain ?
David Robinson :
Il fut une figure cruciale des débuts
de Hollywood. Son succès international inégalé contribua à
affirmer la suprématie commerciale de Hollywood, alors que
sa reconnaissance précoce en tant qu’artiste - même s’il créait
au sein du plus humble des genres - y fut pour beaucoup dans
l’acceptation intellectuelle du cinéma en tant que moyen de
création à part entière. Il était un géant de Hollywood et
je continue de penser que son succès phénoménal tenait au
caractère universel de son personnage. Le personnage du vagabond
aurait pu exister pratiquement n’importe où au début du XXe
siècle. Mais, en tout cas, l’essence de Chaplin se révéla
dans les pensées, les sentiments et les émotions qu’il était
capable d’exprimer par le mime. Les villes également, d’ Easy
Street à City Lights ou aux Modern Times,
ne sont pas spécifiquement anglaises, américaines ou européennes,
mais plutôt de «partout».
Objectif Cinéma : Avec
son film Le Dictateur, le cinéaste semble opérer un
bouleversement esthétique important. Celui-ci peut être perçu
comme l’accès à la modernité cinématographique par un adieu
aux formes du passé (le muet du jeune soldat durant la guerre
1914-18). Que pourriez-vous dire à ce sujet et sur l’usage
qu’il fait de la parole ?
David Robinson :
Chaplin avait de très bonnes raisons
de ne pas se réjouir de l’arrivée du son. Il s’était créé
un véritable public universel qui comprenait parfaitement
son langage visuel de pantomime. Si son petit vagabond se
mettait désormais à parler, en anglais, il deviendrait aussitôt
incompréhensible pour la plupart de son public mondial. De
plus, quelle voix donner à ce vagabond ? Chacun s’était
forgé sa propre idée du personnage et de sa façon de parler.
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Chaplin réagit en
ignorant simplement le son. City Lights et Modern
Times, réalisés longtemps après l’apparition du cinéma
parlant, sont des films complètement muets avec un accompagnement
sonore et musical. Mais Chaplin ne pouvait pas ignorer le
son indéfiniment ; et, par ailleurs, en 1940 il avait
quelque chose à dire. Il a toujours été profondément impliqué
dans les affaires sociales et politiques ; il voulait
mener sa propre attaque contre Adolf Hitler (qui, par l’ironie
du sort, était né moins d’une semaine avant Chaplin ;
il travailla sa ressemblance en portant une ridicule moustache
en brosse à dents). Ainsi, il écrivit un scénario pour la
première fois alors que jusque-là ses films avaient été quasiment
improvisés, séquence après séquence. Le scénario était très
détaillé et fut scrupuleusement respecté lors du tournage.
Chaplin use des dialogues avec le plus grand soin et beaucoup
de talent, de sorte que l’accent demeure visuel, sauf pour
le discours final prononcé par le petit barbier, qui avait
accidentellement pris la place du grand dictateur.
A l’époque, le discours fut critiqué à la fois par la Droite
qui le considérait comme un plaidoyer communiste et par la
Gauche qui n’y voyait que de simples truismes. Soixante ans
plus tard, personnellement je suis ému par la sincérité naïve
et la vérité de cette déclaration. Absolument rien de sa protestation
sur la façon dont « l’avidité a empoisonné l’âme des
hommes » n’a perdu de sa justesse durant toutes ces années.
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