Objectif Cinéma :
Vous avez mis combien de temps à trouver les financements ?
Robert Kéchichian :
J'ai commencé à écrire le film début 1997, à la fin du tournage
de Didier. J'ai mis cinq ans à l'écrire. Sur cinq ans,
il y a eu un an et demi d'écriture puisque je faisais autre
chose en parallèle. Le montage financier a été très paradoxal :
il a mis deux ans à se faire car des producteurs qui voulaient
le produire m’ont finalement quitté. Mais quand les Films A4
ont donné leur accord pour produire le film, il s'est monté
financièrement en six mois (entre temps il y avait eu le 11
septembre). Il y a eu des périodes d'accélération et de temps
morts. Qui plus est, je tiens à dire que les Films A4, Bac Films,
Studio Canal et Canal + ont été vraiment des gens formidables
qui ne m'ont jamais lâché.
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Objectif
Cinéma : Comment s'est
opéré le choix des comédiens ?
Robert Kéchichian : Cette
question s'articule totalement avec celle du montage financier.
Mon film s'inscrit dans le cadre d'une industrie cinématographique,
avec des producteurs très « artistes ». J’avais
songé à un ou deux comédiens connus, qui m'avaient eux-mêmes
sollicités, et mes producteurs n'avaient envie de produire
ce film qu'à condition que les comédiens ne soient pas connus.
J’ai eu à partir de là toute liberté pour le casting. J’ai
eu envie d'aller chercher des visages qu'on ne voit pas sur
les écrans français, notamment des comédiens qui travaillent
essentiellement au théâtre.
Objectif Cinéma : J'ai
trouvé le jeu des comédiens assez particulier. J'ai eu l'impression
qu'ils racontaient leur personnage presque autant qu'ils le
jouaient et qu'il y avait une sorte de distance entre les
personnages, les acteurs et également le spectateur.
Robert Kéchichian : J’ai
été extrêmement attentif aux silences, au corps ; c'est
peut-être ce qui donne cette impression. Il y a peu de dialogues,
j'ai beaucoup travaillé sur la gestuelle. Celle de Simon était
à la fois très sobre, très minérale. Quand il est devant son
frère, c'est tout autre chose, on sent alors « l'orientalité »,
l'amour, les baisers donnés. Pareil pour Méliné, très extravertie
quand elle est avec son fiancé, et beaucoup plus dans la retenue
quand elle est face à son père.
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Objectif
Cinéma : L’autre soir
(1), une spectatrice rappelait cette grande importance des
silences chez les Arméniens et cette grande difficulté à
communiquer sur des choses très profondes…
Robert Kéchichian :
Ce qu'a dit cette dame est tout à fait juste, mais ce n'est
pas une règle absolue. En réalité, les Arméniens sont extrêmement
extravertis. Mais à un moment donné, sur le tragique, il
y a parfois des zones de silence, des reproches ou des amours
qui ne se disent pas. Par exemple, mon père et ma mère avaient
des rapports non-dits, des relations de regards. Mais par
contre, dans les rapports que nous, enfants, avions avec
notre mère, c'était, au contraire, une explosion de chaleur,
on se disait tout, on se crachait tout, on s'embrassait,
on se touchait. Dans les familles arméniennes, la figure
du père est centrale dans la question du non-dit.
Objectif Cinéma :
C'est d'ailleurs une impression que j'avais, surtout pour
les personnages masculins.
Robert Kéchichian :
C'est vrai. Si vous voulez, pour revenir à la question du
jeu des comédiens, il y a eu de leur part une extrême écoute.
Je ne voulais pas rester derrière le combo par exemple,
mais être à leur contact en permanence. Et puis j’ai travaillé
sur les personnages avec eux, en amont du tournage.