
Objectif Cinéma :
Dans le cas de Lautrec,
également un film d’époque, on devine l’utilisation de décors
naturels, à l’exception du Moulin rouge qui semble être construit.
Jacques Rouxel : A
aucun moment du film, nous ne sommes entrés en studio. Je
m’efforce toujours de montrer aux metteurs en scène les avantages
du studio, mais pour Lautrec, ce n’était pas justifié
car les temps de tournage dans chaque décor étaient trop courts,
et puis, il y avait trop peu d’argent.
On a donc optimisé les repérages, choisi des lieux riches
en s’en servant de manière décalée, comme le voulait Roger
Planchon. Le chat noir n’est pas tourné dans un cabaret
mais dans une chapelle désaffectée. Le bordel est tourné au
musée Grévin, les filles remplaçant les mannequins de cire
dans leurs loges. Ces architectures décalées faisaient rebondir
le décor.
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Pour le Moulin rouge,
le gros décor du film, il ne s’agissait pas de reconstituer
un lieu disparu, mais de retrouver l’esprit de l’époque.
On a aménagé la salle Wagram qui comporte ces immenses colonnes
et ce vaste parquet au sol, tout en y rajoutant les deux
scènes, les mezzanines…
La phase des repérages (une cinquantaine de lieux) a été
très importante. On a tenu de vraies séances de travail
sur place, avec les chefs de poste et la productrice, Margaret
Menegoz, qui contrôlait soigneusement les dépenses. Il fallait
alors chiffrer très vite. Roger Planchon vient du théâtre.
S’il décide de filmer en frontal, de n’utiliser qu’un mur,
la consigne était de ne pas meubler le contre-champ. Et
il ne changeait pas d’avis au moment de tourner.
Objectif Cinéma : Dans
un style très différent, vous travaillez avec Guillaume
Nicloux pour un polar contemporain, Une affaire privée.
Jacques Rouxel : Après
les films pour Rappeneau, après Lautrec et son César
du meilleur décor, les gens ont cru que je ne faisais que
des films d’époque, cossus ou académiques. Il paraît que
recevoir un prix peut-être un handicap. Moi, je l’ai expérimenté.
On m’a dit : « On pensait que ça ne t’intéresserait
pas, qu’il n’y avait pas assez d’argent pour que tu puisses
t’exprimer »… Bref, les gens se posaient des questions
à ma place et oubliaient les autres films comme Regarde
les hommes tomber ou, plus récemment, Une affaire
privée.
C’est une histoire contemporaine, entièrement tournée en
décors naturels, avec un budget modeste, mais c’est un des
films qui m’a le plus satisfait au niveau artistique, et
qui a eu un succès d’estime. C’est satisfaisant quand on
déploie autant d’énergie, car quand un film sort, il arrive
qu’on se sente trahi, parce que la chaîne s’est interrompue
à un endroit.