Objectif Cinéma :
Vous étiez donc loin du milieu
du cinéma ?
Françoise Benoit-Fresco :
J’y suis entré quand, pour rester sur Paris, j’ai fait du
stylisme dans la pub. Je m’occupais aussi des costumes, ça
marchait très bien et c’était fait pour moi, jusqu’à ce qu’au
bout d’une dizaine d’années, j’en ai eu assez de choisir des
tasses à café. Mais je me considérais toujours comme simple
styliste et pas du tout ensemblière de cinéma. Un assistant
réalisateur a parlé de moi à François de Lamothe - un des
grands chefs décorateurs de l’époque - dont l’ensemblier,
Robert Christidès, venait d’arrêter. C’était vers 1983, pour
Le bon plaisir de Francis Girod, et l’on a enchaîné
plusieurs films ensemble.
Il faut dire qu’à cette époque, dans le cinéma, il n’y avait
que des hommes ensembliers. Christidès, comme certains autres,
possédait une très grande culture artistique. Il avait fait
beaucoup de grands films d’époque, jouissait d’un certain
prestige et j’en ai profité.
J’étais donc la première fille ensemblier, et en plus, je
venais de la pub qui était haïe par le long-métrage. Je n’ai
pas commencé comme stagiaire ou assistante, on ne m’a jamais
envoyée chez les loueurs, j’ai appris toute seule en chinant,
en fouillant.
Objectif Cinéma :
Comment s’est fait la rencontre
avec Claude Chabrol ?
Françoise Benoit-Fresco :
Le bon plaisir était produit par Marin Karmitz, qui
m’avait soutenue sur ce film ou je débutais. Plus tard, il
m’a proposé le décor de Poulet au vinaigre, en me disant
pour me convaincre que c’était un film d’ensemblier. A partir
de là, je suis devenu la déco de Chabrol et l’on a fait 8
films ensemble.
C’est un plaisir de travailler avec Chabrol, et ces films
me conviennent parfaitement, j’aime beaucoup rentrer dans
le détail. Ce n’est jamais en studio - bien qu’il en ait fait
il y a longtemps - ce qui n’empêche de faire de la construction,
de repeindre ou d’habiller les murs. Et l’on est en province,
ce qui est toujours agréable.
Objectif Cinéma :
Pouvez-vous nous parler de
la maison de famille dans La fleur du mal ? Françoise Benoit-Fresco :
Comme d’habitude, c’est une histoire de notables, cette fois
du Bordelais. Et là, mon travail consiste à bien savoir ce
que représente historiquement un meuble ou un objet pour un
grand bourgeois de cette région. Il possède tel type de mobilier,
telle faïence, comme par exemple du « retour des Indes »,
car Bordeaux a longtemps été un port où l’on ramenait les
marchandises des colonies.
Nous sommes en décors naturels, et pour l’intérieur de cette
maison bourgeoise, il ne fallait pas cibler un goût très juste.
Dans le salon qui est la pièce du personnage de Nathalie Baye,
elle a conservé les meubles de style - ça ne se jette surtout
pas ! - mais a bien veillé à « rajeunir » les
canapés.
Quant au jardin d’hiver, nous devions utiliser une pièce qui
est en réalité un second salon. Il fallait trouver une idée
économique sans toucher aux murs, et l’on a rajouté du treillage
sur les murs existants. Cela montre aussi que ces gens tiennent
absolument à avoir un jardin d’hiver chez eux, même si c’est
dans une pièce avec cheminée !
Dans La fleur du mal, mon décor préféré est celui du
bureau, entièrement construit sur place, à l’intérieur de
la maison. Là, je n’avais aucune contrainte pour le traitement
des murs ou le choix des objets.