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Objectif cinéma
: Vous-même, votre parcours
est assez riche : votre père est algérien kabyle, votre
mère est brésilienne et vous habitez une partie de l'année
à New York...
Karim Aïnouz :
Je suis venu à New York pour faire une Maîtrise, puis j'ai
vécu à Paris et je suis retourné au Brésil ; mais là, je
suis de retour dans ma base new-yorkaise pour faire du cinéma.
Moi, j'adore bouger. Au Brésil, je suis beaucoup plus attiré
par ma région natale, le Nordeste, que par Rio de Janeiro.
Paris, j'adore parce que c'est la capitale mondiale du cinéma
; c'est comme un sport national. Mais New York a un «edge»
spécial, les choses y bougent plus vite. Cette ville m'inspire
beaucoup et me donne de l'énergie.
Objectif cinéma
: Je commence à comprendre
pourquoi vous avez consacré votre premier film à un homme
comme João Francisco, qui avait plusieurs personnalités...
Karim Aïnouz
: Le choix de Madame Satã est très personnel. Ca
a commencé par un coup de foudre, lorsque j'ai lu ses mémoires
en 1994. Sa vie m'a vraiment touché, c'était comme un choc
positif. Les choses se sont décantées avec le temps et j'ai
compris qu'avant la question de l'exclusion et de sa détermination
pour atteindre son rêve, c'est sa passion pour la vie qui
m'a attiré. Ce mec-là était un têtu pour la vie, même s'il
fallait se battre pour cela.
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Objectif cinéma
: Qu'est-ce qui lui donnait
ce goût de la vie ? Ses rêves ?
Karim Aïnouz :
Je crois que le rêve l'aidait, mais il avait aussi un vrai
plaisir physique dans la vie, pas dans le sens sexuel, mais
d'être vivant, de danser, d'être avec les gens. Il avait
une présence physique exceptionnelle, presque comme une
stratégie de survie.
Objectif cinéma
: Pour mettre en valeur ce
plaisir de se sentir vivant, votre caméra montre son corps,
sa respiration, comme des pulsations de vie...
Karim Aïnouz
: C'était hyper important pour moi de traduire le fait qu'il
existe essentiellement par son corps : c'est avec son corps
qu'il arrivait à avoir du plaisir, qu'il se défendait, qu'il
se déguisait et qu'il devenait un autre personnage. Je crois
que c'était tout-à-fait d'avant-garde pour un Noir à cette
époque, alors que l'esclavage était encore très présent,
de mettre son corps en valeur de cette façon. Au début du
siècle, le corps était vraiment considéré comme une marchandise,
un outil de travail.
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Objectif cinéma
: Est-ce possible d'imaginer
d'autres Madame Satã au Brésil aujourd'hui ?
Karim Aïnouz
: C'est un personnage tellement moderne pour son époque
qu'il est difficile d'imaginer comment il serait aujourd'hui.
On croise des gens comme ça à São Paulo, avec ce genre de
force. Il y a quelqu'un aux Etats-Unis qui m'intéresse beaucoup.
Il s'agit du joueur de basket Dennis Rodman, qui se teint
les cheveux et a un look très queer.
Objectif cinéma
: Est-ce que le personnage
de Madame Satã était connu au Brésil avant votre film?
Karim Aïnouz
: C'est un mythe urbain à Rio, mais c'est limité à la culture
carioca. Des copains qui ont mon âge (36 ans, NDLR) m'ont
raconté que dans les années 1960, leurs parents leur disaient
que Madame Satã viendrait les tuer, les manger, des choses
du genre. Mais il n'est pas connu dans le reste du pays.
Quand j'ai commencé à m'y intéresser, je ne savais pas exactement
qui c'était, à part qu'il était Noir, qu'il était très fort
et se battait très bien, et qu'il s'habillait en femme.
Je crois que le film a beaucoup aidé à le faire connaître,
et cela me fait plaisir.