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Antoine Lumière (c) D.R.

Objectif Cinéma : Dans ce musée, vous ancrez les Lumière dans le contexte artistique de leur temps...

Dominique Païni : On découvre ici, dans ce musée Lumière à Lyon, un aspect nouveau de la production des frères Lumière, on ne savait pas qu’ils avaient été aussi sensibles, y compris inconsciemment, à l’art de leur temps. Or ils ont repris les codes picturaux de l’art du XIXe siècle parce que ce sont des gens du XIXe siècle ! Quand on se retournera sur des artistes de notre temps, on s’apercevra qu’ils ont tous peint comme Warhol, mais on ne le sait pas encore ! Le recul de l’histoire de l’art permet cela. Ce musée commence par le cinéma et la peinture, c’est un musée qui n’est pas axé sur la chronologie de la vie des gens dont on parle : il faut partir au contraire de l’art qu’ils ont pratiqué et non de leur vie. Le musée expose des œuvres et non les gens qui les ont faits. Imaginez si le Louvre montrait des palettes à la place des tableaux de Picasso ou de Manet, cela n’aurait aucun intérêt !

Là, ce n’est pas un musée du cinéma, c’est un musée de cinéma. Le musée du cinéma, c’est encore autre chose. Cela signifie qu’on utilise le matériau du cinéma pour parler de ce qu’ont laissé les frères Lumière. Ils ont laissé deux choses : d’abord, ils n’ont sûrement pas inventé le cinéma, parce que le cinéma n’a pas été inventé. Pas plus que le théâtre, que la poésie, la musique ou la peinture. Cela ne « s’invente » pas. On pourrait dire que le cinéma a inventé la notion même d’invention du cinéma ! C’est la même chose pour la photographie. Le XIXe siècle est un siècle d’inventeurs, où les ingénieurs ont parfois remplacé les artistes. Une sorte de positivisme scientiste a donc dit que le cinéma avait été inventé en 1895, mais non ! Tout a été inventé avant les frères Lumière ! La projection (depuis le XVIIe siècle), la pellicule souple (Eastman), la synthèse du mouvement (Edison)… En revanche, les Lumière ont inventé la praticabilité d’un outil qui s’appelle le Cinématographe et qui est en fait l’ancêtre du caméscope ! Un appareil qui enregistre, qui développe, qui projette, qui restitue. L’histoire de l’art est un éternel retour ! Les Lumière ne sont pas des inventeurs mais des industriels qui avaient les forces productives nécessaires pour synthétiser tout, en réalisant un objet pratique qui se vend, utilisable par tout le monde. La preuve, 20 opérateurs sont immédiatement partis dans le monde entier, prouvant ainsi que le cinématographe était un objet pratique. Les Lumière n’ont pas inventé la projection payante, il y en a eu d’autres avant eux. Ils ont inventé une deuxième chose, l’image des vues Lumière. Pour la première fois, l’homme réalise véritablement ce qu’il a toujours cherché à restituer figuralement, c’est le temps. Quand Annie Oakley, filmée par Edison sur un fond noir, tire dans des assiettes lancées en l’air (Sioux Ghost Dance, Buffalo Bill, 1894), on n’a pas le sentiment du temps qui s’écoule. C’est un motif animé, c’est encore cette chose que n’aimait pas Beaudelaire quand il disait « je hais ce mouvement des contours qui déplacent les lignes ». Quand les Lumière posent leur trépied sur le quai de la gare de La Ciotat, s’inscrivent alors sur la pellicule, le temps qui s’écoule, les accidents de la réalité, un morceau extrait de l’infini du temps… Le temps, ça nous dépasse, c’est immanent, ça continue avant nous, ça continuera après nous : même quand il n’y aura plus d’hommes, le temps continuera. Eux incarnent du temps en figures, en mouvements, en images. C’est précisément ce que j’ai exposé dans ce musée : du temps. Des œuvres faites de temps. En informant aussi le public sur d’autres aspects, sur les machines, les appareils…Je me suis attaché non pas à l’histoire des Lumière, mais à exposer ce qu’ils ont laissé.