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Objectif Cinéma :
Dans ce musée, vous ancrez
les Lumière dans le contexte artistique de leur temps...
Dominique Païni : On
découvre ici, dans ce musée Lumière à Lyon, un aspect nouveau
de la production des frères Lumière, on ne savait pas qu’ils
avaient été aussi sensibles, y compris inconsciemment, à l’art
de leur temps. Or ils ont repris les codes picturaux de l’art
du XIXe siècle parce que ce sont des gens du XIXe siècle !
Quand on se retournera sur des artistes de notre temps, on
s’apercevra qu’ils ont tous peint comme Warhol, mais on ne
le sait pas encore ! Le recul de l’histoire de l’art
permet cela. Ce musée commence par le cinéma et la peinture,
c’est un musée qui n’est pas axé sur la chronologie de la
vie des gens dont on parle : il faut partir au contraire
de l’art qu’ils ont pratiqué et non de leur vie. Le musée
expose des œuvres et non les gens qui les ont faits. Imaginez
si le Louvre montrait des palettes à la place des tableaux
de Picasso ou de Manet, cela n’aurait aucun intérêt !
Là, ce n’est pas un musée du cinéma, c’est un musée de
cinéma. Le musée du cinéma, c’est encore autre chose.
Cela signifie qu’on utilise le matériau du cinéma pour parler
de ce qu’ont laissé les frères Lumière. Ils ont laissé deux
choses : d’abord, ils n’ont sûrement pas inventé le cinéma,
parce que le cinéma n’a pas été inventé. Pas plus que le théâtre,
que la poésie, la musique ou la peinture. Cela ne « s’invente »
pas. On pourrait dire que le cinéma a inventé la notion même
d’invention du cinéma ! C’est la même chose pour la photographie.
Le XIXe siècle est un siècle d’inventeurs, où les ingénieurs
ont parfois remplacé les artistes. Une sorte de positivisme
scientiste a donc dit que le cinéma avait été inventé en 1895,
mais non ! Tout a été inventé avant les frères Lumière !
La projection (depuis le XVIIe siècle), la pellicule souple
(Eastman), la synthèse du mouvement (Edison)… En revanche,
les Lumière ont inventé la praticabilité d’un outil qui s’appelle
le Cinématographe et qui est en fait l’ancêtre du caméscope !
Un appareil qui enregistre, qui développe, qui projette, qui
restitue. L’histoire de l’art est un éternel retour !
Les Lumière ne sont pas des inventeurs mais des industriels
qui avaient les forces productives nécessaires pour synthétiser
tout, en réalisant un objet pratique qui se vend, utilisable
par tout le monde. La preuve, 20 opérateurs sont immédiatement
partis dans le monde entier, prouvant ainsi que le cinématographe
était un objet pratique. Les Lumière n’ont pas inventé la
projection payante, il y en a eu d’autres avant eux. Ils ont
inventé une deuxième chose, l’image des vues Lumière. Pour
la première fois, l’homme réalise véritablement ce qu’il a
toujours cherché à restituer figuralement, c’est le temps.
Quand Annie Oakley, filmée par Edison sur un fond noir, tire
dans des assiettes lancées en l’air (Sioux Ghost Dance,
Buffalo Bill, 1894), on n’a pas le sentiment du
temps qui s’écoule. C’est un motif animé, c’est encore cette
chose que n’aimait pas Beaudelaire quand il disait « je
hais ce mouvement des contours qui déplacent les lignes ».
Quand les Lumière posent leur trépied sur le quai de la gare
de La Ciotat, s’inscrivent alors sur la pellicule, le temps
qui s’écoule, les accidents de la réalité, un morceau extrait
de l’infini du temps… Le temps, ça nous dépasse, c’est immanent,
ça continue avant nous, ça continuera après nous : même
quand il n’y aura plus d’hommes, le temps continuera. Eux
incarnent du temps en figures, en mouvements, en images. C’est
précisément ce que j’ai exposé dans ce musée : du temps.
Des œuvres faites de temps. En informant aussi le public sur
d’autres aspects, sur les machines, les appareils…Je me suis
attaché non pas à l’histoire des Lumière, mais à exposer ce
qu’ils ont laissé.
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