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Stéphane Kahn :
Bref participe complètement de la reconnaissance
de ces réalisateurs en tant que cinéastes. C’est justement
l’un des gros soucis de l’Agence du court métrage :
la plupart du temps, on ne parle malheureusement des réalisateurs
de courts métrages que lorsqu’ils passent au long. La parution
régulière d’articles critiques sur les films de tel ou tel
réalisateur/trice dans Bref permet de faire évoluer
progressivement les mentalités. Au-delà de Bref,
les programmateurs de l’agence du court métrage font aussi
des choix lorsqu’ils proposent des films aux exploitants.
Lorsqu’on organise une rétrospective, on laisse obligatoirement
des films de côté, ça participe aussi de la reconnaissance
de certains films et de certains auteurs plutôt que d’autres,
etc. A l’Agence, la durée d’un film ne doit pas être un
critère discriminatoire : nous ne devons pas nous interdire
de parler d’un film sous prétexte qu’il fait moins d’une
heure. Je ne travaille pas à l’Agence pour défendre tous
les courts métrages, mais pour permettre à des films plus
fragiles, auxquels la critique prête moins d’attention parce
qu’ils font moins d’une heure, d’être perçus d’une manière
juste.
Philippe Germain :
Quand tu réalises un court métrage, tu n’es pas reconnu
comme un cinéaste parce que tu as fait un film de moins
d’une heure, alors que lorsque tu écris des nouvelles et
que tu es édité, tu es considéré comme écrivain. Nous lisons
parfois des articles sur des auteurs de premiers longs métrages
qui nous font hurler quand on voit que le journaliste ne
tient pas du tout compte que le film dont il parle s’inscrit
dans une continuité et que tel auteur a dix courts métrages
derrière lui. « Venir voir les talents de demain »
comme on l’affirme haut et fort dans certaines programmations,
cela ne m’intéresse pas. Pour moi, peu importe que le réalisateur
passe au long métrage, il existe alors déjà pour moi en
tant que cinéaste si le film me touche et m’apporte de l’émotion.
Bien sûr, la situation idéale, c’est quand le sujet impose
la durée. Faire des allers-retours du court au long
en fonction des sujets est cependant encore rare aujourd’hui.
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Objectif Cinéma :
Est-ce qu’il n’y a pas aussi
parfois une tendance chez les jeunes réalisateurs à faire
plutôt des courts métrages « carte de visite »,
ou au contraire une tendance actuelle à faire des courts
métrages de plus en plus longs et à délayer un propos qui
pourrait être exprimé d’une manière plus courte...
Stéphane Kahn :
Pour les réalisateurs qui passent au long métrage, beaucoup,
même ceux qui ont fait à nos yeux des œuvres de cinéma importantes,
ne les revendiquent pas forcément, passent sous silence
ce qu’ils ont fait. C’est particulièrement flagrant dans
certains dossiers de presse où les courts métrages n’apparaissent
pas. Inversement, depuis plusieurs années - et c’est peut-être
lié à l’évolution de la critique -, des publications comme
Bref, Repérages, ou encore le « Dictionnaire
des jeunes réalisateurs » (éd Scope), tiennent compte
du parcours d’un cinéaste du court au long : on ne
parle pas de « premier film » au moment du premier
long métrage. Peut-être que cette façon de parler des films
a eu une incidence sur la manière dont les réalisateurs
envisagent les courts. L’exemple de Dans ma peau,
le premier long métrage de Marina de Van, est particulièrement
frappant : quand il est sorti, les portraits de Marina
de Van dans la presse parlaient de ses courts, les racontaient,
ce qui n’était pratiquement jamais arrivé auparavant !
Je ne sais pas si cela vient de la réalisatrice ou des journalistes
qui s’étaient documentés, ou encore de l’attachée de presse,
mais cela va dans le bon sens. De plus, Marina de Van est
une cinéaste dont les courts sont aussi importants que le
long, si l’on regarde son œuvre de manière globale. Ce
phénomène a commencé à apparaître avec La vie rêvée des
anges d’Erick Zonca pour lequel on a vraiment parlé
de continuité entre les courts et le long métrage. On avait
le sentiment qu’on ne parlait pas d’un premier film pour
un premier long métrage. Mais historiquement, d’autres cinéastes
comme Eric Rochant ou Cédric Klapisch ont fait des courts
avant de passer au long. Il faut aussi rappeler que certains
réalisateurs assument et revendiquent leurs courts mais
que très peu reviennent au court ensuite. Des cinéastes
qui reviennent au court en fonction du projet sont des gens
d’une autre génération comme Agnès Varda, Luc Moullet, Alain
Cavalier, Jean-Claude Guiguet, qui vient de terminer un
court métrage (Métamorphose, sélectionné au festival
EntreVues 2003 de Belfort, ndlr), mais c’est vrai que c’est
plus rare chez les jeunes. C’est la dictature économique
du long métrage.