Philippe Germain :
Pour répondre à la deuxième partie de la question, il faut
rappeler que tout découle aussi aujourd’hui de la diffusion
du court métrage. Il y avait auparavant davantage de films
de moins de quinze minutes, c’était une condition nécessaire
pour être acheté et pouvoir sortir en salles. Aujourd’hui,
même un film de 30 ou 35 minutes a des chances d’être diffusé
en salles, dans les festivals, à la télévision.
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Le secteur du court métrage s’est
professionnalisé : des producteurs de courts métrages
sont apparus, ce qui n’était pas le cas auparavant, où un
producteur prenait en charge courts et longs, à l’instar
de Pierre Braunberger qui produisait en fonction de ses
rencontres, etc. Maintenant, la notion est beaucoup plus
linéaire : un producteur produit un jeune réalisateur
puis l’accompagne jusqu’au long métrage. Un système économique
s’est mis en place avec des diffusions tv, des remontées
de recettes, parfois des programmes de distributeurs, et
bien sûr les interventions de l’Etat (le CNC, dont
les financements sont plus adaptés à la réalité économique),
et des collectivités territoriales (quinze régions font
de l’aide à la création cinématographique, leur dénominateur
commun est le court métrage). Il y a de plus en plus d’argent
et aucun critère de sélection, donc des moyens pour développer
aujourd’hui des films de 30 ou 45 minutes qui ne pouvaient
pas se faire avant économiquement. Il existe aussi un autre
phénomène plus difficile peut-être à analyser : il
devient de plus en plus compliqué de faire des long métrages,
de les sortir en salle, et de rencontrer le public.
Stéphane Kahn :
Mais dans les faits, on a plus de mal, dans notre travail
quotidien de programmateur, à diffuser les films qu’on appellera
« moyens-métrages », parce qu’une salle qui souhaite
faire une programmation d’une heure et demie hésite beaucoup
à prendre un film de 45 minutes à la place de deux films
de 20 minutes. C’est un risque… C’est pour cela qu’on a
essayé de mettre en place un dispositif d’accompagnement
pour les films de cette durée : « Une heure tout
court ».
Philippe Germain :
La force de l’Agence, c’est qu’on ne rentre pas dans un
schéma traditionnel. Quand vous sortez en salle un programme
de courts, certains marchent, comme par exemple les courts
métrages distribués par les Films du Préau. Mais vous entrez
alors dans le système de distribution classique. A l’Agence,
on a contourné cet obstacle puisque les films sortent tout
le temps, à volonté. Nos programmes se calent dans le registre
de la « soirée événementielle » donc on ne prend
pas des écrans : c’est une salle de cinéma, un festival,
une association qui décident de faire une journée, un travail
spécifique sur le film court. Le film court a ainsi plus
de chances de rencontrer le public et d’exister. Alors que
lorsque vous distribuez un programme de courts métrages,
même s’ils sont bons, vous vous heurtez à un système où
le moteur s’enraye facilement. Pour un long métrage, vous
travaillez pendant trois ou quatre ans, et en quinze jours
ou trois semaines, le film disparaît. A l’Agence les films
ne disparaissent jamais. On fait un peu office de cinémathèque.
Ici vivent 25-30 ans d’histoire du court métrage.
Stéphane Kahn :
Si nous fêtons cette année les 20 ans de l’Agence, on peut
parler de 30 ans de collections car quand l’Agence s’est
créée en 1983, de nombreux réalisateurs ont inscrit
des films réalisés antérieurement. C’est aussi pour cela
que nous mettons en place des programmes comme « Une
mémoire en courts » (deux sont consacrés aux films
produits par Pierre Braunberger, un autre est centré sur
les films de Tati ou autour de son cinéma). Un film inscrit
en 2003 continuera certainement à être montré dans dix ans.
On n’a pas d’échéance de date. Les conventions signées ne
s’arrêtent pas à un moment donné. Pour des programmations
thématiques, rien ne nous interdit de proposer un film d’il
y a cinq ou dix ans. A la limite, les films récents peuvent
se faire connaître par les festivals. Nous sommes là pour
montrer des films plus anciens et surtout perpétuer la mémoire
de ces œuvres-là. Contrairement au long métrage pour lequel
on trouve des histoires du cinéma et des dictionnaires,
des revues, etc, il est plus difficile de restituer une
histoire pour les courts.