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La Chatte à deux têtes (c) D.R.

Philippe Germain : Les films sont vus, mais cela ne se sait pas ! Quand on parle du court métrage dans les médias, c’est soit à l’occasion d’un festival, d’un événement (comme les 20 ans de l’Agence). C’est une question de temps, d’engorgement de l’actualité et peut-être aussi de curiosité, mais on parle très rarement du film court pour lui-même. On essaie actuellement de mettre en place un nouveau dispositif baptisé « Premiers pas ? » qui donne la possibilité aux journalistes qui le souhaitent d’avoir accès aux cassettes des courts métrages d’un cinéaste qui sort en salles son long métrage. Pour qu’ils puissent ainsi re-situer un cinéaste dans son parcours. 

Stéphane Kahn : Ce dispositif s’adresse aussi aux exploitants. Il nous permet d’être réactifs par rapport à l’actualité en rappelant par exemple que lorsque Jacques Nolot sort La chatte à deux têtes dans les salles, il avait réalisé quelques années plus tôt Manège, un film court très proche par son sujet et ses choix esthétiques de ce long métrage.

Philippe Germain : En ce qui concerne l’amélioration de la diffusion, on ne doit pas aller non plus vers un système économique de distribution. Notre côté un peu confidentiel, « service public », nous permet aussi de travailler sur un large éventail de films où l’on peut faire des choix et échapper ainsi aux contraintes de la distribution. L’Agence du court métrage est une expression de l’exception culturelle. On permet à des films d’exister, alors que si on était dans un système commercial traditionnel sans accompagnement ni aides, ils n’auraient jamais existé, ou alors difficilement. C’est un équilibre qu’on doit conserver politiquement en termes d’amélioration de la diffusion. Ensuite il y a toujours un travail de conviction et de militantisme à mener vers les salles de cinéma qui ne diffusent pas de courts métrages ni de cinéma indépendant. Je ne sais pas ce que veut dire l’expression « grand public ». Il y a des publics qui vont dans les salles de cinéma et repèrent ou non un travail. Nous avons aussi à mener un travail d’accompagnement des œuvres difficiles. Les films de 40 ou 50 minutes ont du mal à rencontrer le public, et leur durée effraie un peu les programmateurs. Le chantier le plus important sera de mieux qualifier la pratique de diffusion et pas fondamentalement de l’étendre. Je n’ai pas envie que toutes les salles passent du court métrage si cela ne répond pas à une vraie conviction, à un vrai désir. C’est alors à nous d’accompagner ce désir-là par rapport aux œuvres. Ensuite il existe d’autres chantiers un peu dans l’air du temps, comme celui de la diffusion numérique.

  L'Infante, l'âne et l'architecte (c) D.R.

Stéphane Kahn : A la différence de l’argentique, on ne pourra pas s’occuper de tous les films. On ne parle pas à l’Agence des œuvres qui se tourneraient en numérique par défaut. Il faut qu’il y ait une adéquation entre le projet et le support.

Philippe Germain : Ce « par défaut » est très dangereux. On tourne aujourd’hui des œuvres en numérique quand on n’a pas de moyens, mais si le film n’est pas sélectionné dans plusieurs festivals, le producteur ne prend pas la peine de tirer une copie. Alors le film n’existe plus ! Or l’Agence a toujours offert un accompagnement, une deuxième chance de rencontrer les publics même si le film n’était pas pris dans les festivals. De nombreux films ont raté tous les festivals et ont été demandés d’un seul coup. L’Agence est complémentaire des festivals. Si la diffusion numérique et l’évolution du secteur continuent dans le même sens, ces films seront mort-nés. En dehors des festivals, il n’y aura pas de salut pour eux. Or la réalité de la diffusion en salles existe. C’est un premier risque, le deuxième étant la disparition du support argentique au profit du numérique. J’aimerais qu’il existe une coexistence plus ou moins pacifique et qu’un auteur puisse faire des allers-retours entre les sujets, les durées et les supports. Qu’il puisse au moins réfléchir son film en argentique, en pensant à un cadre, un grain spécifique, même s’il le tourne ensuite en numérique.

Stéphane Kahn : A ce propos, L’infante, l’âne et l’architecte de Lorenzo Recio est un vrai cas de figure. C’est un film qui n’a pas fait de festivals, dont les producteurs ont failli ne pas tirer de copies et qui a fini, au fil des tournées organisées par l’Agence, par être vu par de nombreux spectateurs et par obtenir une vraie reconnaissance critique via Bref. Le film n’a quasiment pas eu de carrière en festivals mais c’est un de mes films préférés, et je suis loin d’être le seul à l’Agence !