Objectif Cinéma :
Quelles sont les rencontres
qui ont marqué votre carrière ?
Jean-Marie Sénia :
Jacques Rivette, Alain Tanner, la productrice Véra Belmont
(Milena, Rouge baiser), José Pinheiro (Les Mots
pour le dire), et puis des gens comme Montand, Rufus,
Vadim ou André Dussollier… Mais finalement tout est important
dans la vie d’un artiste. On est obligé de citer des noms
de vedettes tout le temps, mais en réalité ce ne sont pas
les gens qui m’ont le plus fasciné. Par exemple, une femme
comme Monique Morelli et Lino Léonardi, son mari qui était
accordéoniste, sont des gens qui m’ont beaucoup impressionné.
En fait, je n’ai travaillé qu’avec des amis. Mon vrai père
dans la vie a été Claude Santelli, qui était l’un des plus
grands connaisseurs de Maupassant. D’ailleurs je viens de
faire la musique d’un téléfilm, Pierre et Jean, de
Daniel Janneau avec Aurore Clément.
« Etre musicien n’est
pas tout »
Objectif Cinéma :
Quel est votre rapport, au
niveau de la sensibilité, entre la musique, les mots et l’image ?
Jean-Marie Sénia :
Les mots viennent en premier. A partir de 14 ans, j’ai commencé
à lire les poètes. Rimbaud d’abord, et puis Bernard-Marie
Koltès, que j’ai connu quand il avait 16-17 ans. Les mots
ont été aussi fondamentaux que les sons. Pour moi, être musicien
ce n’est pas tout. C’est une parcelle de quelque chose. La
musique est contenue dans la peinture, dans la lumière, la
poésie, et il faut faire le tour de tout ça pour être un musicien.
Les cinq années que j’ai passées à la Comédie-Française (où
il a écrit des musiques pour les spectacles de Jean-Luc Boutté,
Alfredo Arias, Bruno Bayen, et Jacques Lasalle notamment,
NDLR) ont été fabuleuses pour moi... Ensuite, comme compositeur
de musiques de films, j’ai appris que l’image est toujours
plus forte que la musique. Mon but, en tant qu’artiste, est
de transporter la vie, comme un passeur. Dans la musique de
film muet, mon rôle est de désigner des choses un peu plus
subtiles dans l’image, mais sans trop insister non plus. A
certains moments, la musique doit laisser les choses se faire
dans le film. L’alchimie est différente dans le muet et dans
les films sonores, qui sont plus réalistes grâce aux bruitages.
Objectif Cinéma :
Etes-vous cinéphile ?
Jean-Marie Sénia :
Léo Ferré a une phrase formidable. Il dit : « J’voyage
en douce, j’ai mes bouquins. » Moi je suis plutôt
un voyageur de l’écriture. J’aime énormément les films, mais
je trouve que beaucoup de films en ce moment sont basés sur
la technique et pas sur des vraies histoires fondamentales
et universelles. D’ailleurs je trouve que Staréwitch est formidable
parce qu’il montre des toutes petites choses, mais qui racontent
des choses universelles. On voit des petites bestioles qui
se promènent et c’est seulement après qu’on comprend qu’on
peut lire ces images au deuxième et au troisième degrés. Par
exemple il parle sans arrêt de sexualité sans jamais la nommer…
Jean-Marie Sénia :
C’est plutôt Staréwitch qui m’a découvert. J’ai été invité
par le directeur du festival médiéval de Conques, François
Legrand, à accompagner des films muets de Staréwitch. Mais
je ne pouvais pas voir les films à l’avance car il n’y avait
pas de copies. Donc j’ai improvisé, et ça a tellement plu
que le public m’a fait une ovation.