Jean-Marie Sénia :
C’ était … Eh bien c’était L’Horloge magique !
Terry Gilliam était là, c’était la deuxième édition du festival,
en 1996. Béatrice Martin-Staréwitch était là aussi. Elle a
dit : « Tu es fait pour mon grand-père ! »
et après cette rencontre, j’ai joué partout pour les films
de Staréwitch.
Objectif Cinéma :
En quoi Staréwitch se distingue des autres cinéastes de son
époque ? Jean-Marie Sénia :
Sa poésie. Il n’a aucune méchanceté vis-à-vis des êtres humains.
Comme La Fontaine, il sait voir les travers des hommes, mais
il nous les montre sans les juger. Il ne condamne pas l’humain,
il le regarde vivre, et ça, ça me plaît. En bon entomologiste,
il regarde les êtres humains comme des scarabées.
Objectif Cinéma :
Quand avez-vous commencé à
accompagner des films muets ?
Jean-Marie Sénia :
J’ai été un des premiers à faire ça puisque Jean Wiener -
qui est quand même le grand monsieur de l’accompagnement de
films - à 80 ans m’a dit : « Il faut que tu accompagnes
des films muets ». J’ai commencé à 25-26 ans pour la
Cinémathèque de Toulouse. Les dix premières minutes j’étais
mal à l’aise et petit à petit, je me suis rendu compte que
je savais le faire. Ensuite, j’ai joué dans toutes les cinémathèques
du monde. J’ai aussi composé la musique pour tous les films
de Max Linder avec l’orchestre de Nino Rota.
Objectif Cinéma
: Faut-il une technique particulière ?
Jean-Marie Sénia :
Ca ne s’apprend pas. C’est une rapidité, un instinct :
pour être synchrone, vous devez devancer le plan. La difficulté
est donc de connaître tous les plans par cœur et de savoir
les grands synchronismes du film pour amener l’émotion à certains
moments. La partition, c’est le film : je les écris tous
sur un papier et je les apprends par cœur. Puisque je dois
sans cesse regarder l’écran, je ne peux pas avoir de partitions.
Il faut être libre de sa technique et pouvoir jouer le visage
dans le film et les mains dans une indépendance totale pour
improviser à mesure. Par contre, quand on joue avec des musiciens
pour accompagner un film, tout est calé, écrit d’avance, il
n’y a pas de danger.
Objectif Cinéma :
Et sur quoi vous basez-vous pour improviser lorsque vous découvrez
un film en même temps que vous jouez ? Jean-Marie Sénia :
Il faut avoir un réservoir de culture énorme et puiser dans
ce réservoir des codes : des codes de styles, d’harmonisations,
de thèmes, comment on écrivait en 1924, et puis raconter ça
sans forcément reproduire une musique de 1924. Il ne faut
pas « pléonasmer » le film. Il faut le raconter,
mais sans nommer les choses, car sinon, on plombe le film.