Objectif Cinéma
: Y a-t-il une parenté entre
la scène de l’Horloge magique où le géant de la forêt
prend Nina dans sa main et King Kong ?
Xavier Kawa-Topor:
Je ne suis pas sûr, mais cette scène est antérieure à King
Kong, et l’Horloge magique a été distribué dans
le monde entier. Des réalisateurs d’animation japonais, en
particulier le père de la ciné-marionnette japonaise Tadahito
Moshinaga, a dit que l’Horloge magique l’avait déterminé
dans sa vocation. Une autre invention de Staréwitch prête
à d’autres interprétations : dans Le Lion devenu vieux,
en 1932, il fait voler un éléphant avec ses oreilles, quelques
années avant Dumbo (le film de Disney date de 1941, ndlr).
Objectif Cinéma :
C’était un concurrent de Disney ?
Xavier Kawa-Topor :
Je ne le dirais pas comme ça, parce que le monopole de Disney
s’est imposé dans les années 1930, et Staréwitch à ce moment-là
tournait moins de films. Il y a de grosses différences entre
les deux : le fonctionnement entreprenarial et économique
de Disney facilité par la technique du dessin animé sur
cellulo qui se prête à une division du travail. Cela explique
que le dessin animé soit devenu le genre dominant du film
d’animation et que Staréwitch, qui avait des méthodes artisanales,
n’était pas en mesure de suivre cette productivité industrielle.
Objectif Cinéma : En
quoi le cinéma de Staréwitch est-il encore contemporain ?
Xavier Kawa-Topor :
On verra comment réagit le grand public lors de la distribution
en salles. Moi je ne connais que le jeune public, qui est
pour moi le plus intéressant : il est relativement
exigeant, mais il entre de plain-pied dans le film, c’est-à-dire
qu’il a une disponibilité totale. Il va juger un film pour
ce qu’il est et non pas en fonction de l’idée qu’il se ferait
d’un genre. Si un film plaît, il fonctionne ; mais
il aura beau être fait par le plus grand des réalisateurs,
s’il n’est pas bon, le jeune public ne marchera pas.
Staréwitch passe le test : son cinéma fonctionne très
bien auprès des enfants car c’est avant tout un très grand
conteur. Il fait du cinéma parce qu’il a des choses à raconter,
et son univers a une force particulière parce qu’il est
chargé d’onirisme. En plus, Staréwitch a une technique absolument
extraordinaire et il est en mesure de donner vie à toutes
ses images mentales. Il est fondamentalement libre, et on
est dans une œuvre d’auteur pure et dure où le plaisir est
le maître mot. Et puis c’est un animateur qui n’est toujours
pas dépassé dans son mode d’expression : l’ingéniosité
de ses trucages est tel que personne ne pourrait les reproduire
aujourd’hui.
L’animateur Peter Lord (père de Wallace et Gromit, ndlr)
nous a confié récemment qu’il avait regardé sans cesse les
films de la série Fétiche sans pouvoir comprendre
comment Staréwitch avait réalisé ses trucages. De même,
Jean Rubak et moi avons étudié l’Horloge magique
image par image, et même si on sait maintenant comment il
a animé le chevalier Bertrand, on est complètement ébloui
par l’acting du personnage. On s’est dit : « Quel
animateur génial c’était pour rendre une humanité folle
dans un geste anodin d’un personnage miniature ! »
Je crois que si Staréwitch existait encore, il serait
toujours l’un des plus grands animateurs. C’est indiscutablement
un génie de l’animation, et en ce sens, il est encore contemporain.