Objectif Cinéma :
Comment s’est déroulée l’arrivée du numérique ?
Jean-Marie Vivès :
En 1990, je vois les premiers montages numériques et ça
fait tilt. C’était également l’époque des premiers balbutiements
de la 3D. Avec l’aide d’un ingénieur, je découvre Photoshop,
un logiciel de traitement d’images alors surtout utilisé
dans la presse. Et j’achète mon premier Mac, 400 Mo de disque
dur - c’était ridicule, mais c’est lui que j’ai utilisé
pour Les visiteurs !
J’ai fait mon premier matte numérique sur le film de Gérard
Jugnot, Une époque formidable. C’était peut-être
le premier en France, on le voit à peine deux secondes,
sur un décor de nuit.
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Ensuite, on m’a contacté pour Les
visiteurs, et j’ai proposé à Jean-Marie Poiré de réaliser
les mattes (le château, la grotte, etc…) en numérique. J’avais
investi 250 000F et tout le monde me disait que j’avais
foutu mon argent en l’air. « Le numérique, ça ne
marchera jamais ». Quand on pense que c’était en 1991,
il y a à peine une douzaine d’années !
Les visiteurs ayant atteint 18M d’entrées, les gens
ont commencé à prendre au sérieux les effets numériques.
A partir de ce film, j’ai arrêté de faire de la pub et bricoler
des photos, pour ne faire que du cinéma. La cité des
enfants perdus a été un tournant pour moi. Même s’il
n’a pas marché en France, le film est une référence en termes
de décor. C‘est grâce à lui qu’avec Caro et Jeunet, on a
fait Alien IV à Hollywood. Le studio avait
demandé la même équipe artistique.
Objectif Cinéma :
Êtes-vous par la suite revenu aux
mattes traditionnels ?
Jean-Marie Vivès :
Jamais. Mais le cinéma américain a continué à les utiliser
quelque temps. Ils avaient toujours le matériel, les techniciens
en nombre. Par exemple, Coppola avait demandé expressément
que les mattes de son Dracula soient exécutés de
façon traditionnelle - et d’ailleurs le film est sublime
sur le plan plastique. Par contre, l’incrustation se faisait
en numérique. Progressivement, ils ont travaillé directement
sur ordinateur, scannant et mélangeant avec des photos.
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Objectif Cinéma :
Pour quelqu’un qui a reçu
une formation artistique classique, comment se passe le
passage du dessin à la main à celui sur clavier ?
Jean-Marie Vivès :
Dans mon cas, au forceps. Quand j’ai acheté mon ordinateur
pour Une époque formidable, j’ai dit à Jugnot :
« Ton matte sera prêt dans 15 jours ».
J’ai bossé jour et nuit, non stop, j’ai appris tout seul,
à retoucher une image, à la reconstituer.
Grâce à l’acquis d’une dizaine d’années de bidouillage et
de bricolage sur les plateaux, le travail sur un logiciel
comme Photoshop m’a paru naturel. Je faisais la même démarche
mentalement quand je construisais des FX, sur un studio,
en direct, en réel avec des miroirs semi-aluminés.
Je connaissais la lumière pour avoir fait de la peinture
hyperréaliste, puis j’avais appris comment on fait de la
lumière en photo et au cinéma, les types de projecteurs…
Comment fonctionne une caméra, l’optique. Tous ces apports
ont formé mon travail et ma réputation (rires).