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Gervaise(c) D.R.

Objectif Cinéma : Pour un jeune assistant, travailler aux côtés d’Alexandre Trauner devait représenter une étape importante ?

Jacques Saulnier : C’était une référence, et c’est pour cette raison que Max Douy m’a ensuite embauché. Trauner n’étais pas facile, mais j’ai beaucoup appris auprès de lui. Il était extrêmement perfectionniste et a pu se permettre, lui et ses films, des décors incroyables. Il ne pourrait plus travailler aujourd’hui dans le cinéma français.

Je me rappelle de Act of love d’Anatole Litvak, pour lequel il fallait recréer sur un plateau de 1000m2 l’intérieur du Grand Palais, son grand escalier avec les ferrailles Art-nouveau. Nous étions 4 assistants, on a fait des maquettes au 10ème, puis un essai en vraie grandeur. Trauner l’a fait refaire encore, la courbe n’était jamais la bonne pour lui ! De nos jours, c’est impensable. Avec lui, les équipes pouvaient monter facilement à 80 personnes, alors que sur le dernier Resnais, on a été au maximum 32 pendant 15 jours.

Trauner disait toujours qu’un décor, c’est énormément de documentation et de recherches. Il faisait lui-même beaucoup de photos, et dessinait avec une habileté que je n’ai pas. Même un décor secondaire, il en tirait un dessin formidable.

  Gervaise(c) D.R.

Objectif Cinéma : Y avait-il d’autres décorateurs dont vous admiriez le travail ?

Jacques Saulnier : Plusieurs, par exemple Paul Bertrand qui travaillait souvent avec René Clément. Il y avait un grand soin sur ses décors : Gervaise, Thérèse Raquin ou des films de Carné d’après-guerre. Certains décorateurs avaient un style bien reconnaissable. Jean André faisait des décors formidables pour Vadim, mais oubliant parfois le sens du scénario, ses décors n’avaient pas grand-chose à voir avec les personnages. Jean d’Eaubonne se reconnaît facilement : très décoratif, pas réaliste. Ça pouvait devenir un peu un système, mais ça marchait à merveille avec le style de Max Ophuls. Mais c’est certainement Max Douy, avec qui j’ai fait une quinzaine de films qui m’a le plus influencé. Par son équilibre, son respect du scénario et la nécessité de « frôler » la mise en scène.


Objectif Cinéma : Le cinéma français des années 50 et 60 semblait capable de fournir du travail à tous les décorateurs en exercice.

Jacques Saulnier : C’est vrai. Il y avait moins de films que maintenant, peut-être une soixantaine par an, mais aussi moins de gens pour les faire. On tournait en studio, en partie pour des raisons techniques : on ne pouvait pas éclairer en extérieur comme aujourd’hui. Il fallait alors construire des découvertes, des rues entières, donc employer de la main d’œuvre. Les jeunes étaient moins nombreux dans le métier, seuls ceux qui sortaient de l’IDHEC faisaient des stages, les chefs déco choisissaient soigneusement leur assistant et les gardaient.

Dans les années soixante-dix, les gens ont commencé à affluer, à peu près au moment où l’IDHEC a fermé sa section décor. Dernièrement, j’ai recensé quelque chose comme 500 décorateurs en France depuis 10 ans. Le mot décorateur est employé là, comme en témoignent les génériques, mais combien le sont-ils réellement ? Il y a une sélection qui se fait, et les 9/10 disparaissent. Que deviennent-ils ?