  
                  Objectif Cinéma : 
                    Ensemble, vous avez travaillé pour 
                    les réalisateurs de la Nouvelle Vague : Louis Malle, 
                    Claude Chabrol, etc. Y avait-il des différences avec la génération 
                    précédente, comme le pense Pierre Guffroy ? 
                     
                    Jacques Saulnier : On 
                    me pose souvent cette question, mais je ne partage pas ce 
                    sentiment. La nouvelle vague n’avait jamais vraiment quitté 
                    le studio. Regardez un film comme Une femme est une femme 
                    de Godard, qui est justement un décor d’Evein. Disons qu’il 
                    y a les réalisateurs qui s’intéressent au décor, comme Malle, 
                    Resnais, Clouzot…et d’autres, non. 
                     
                    Pour Chabrol, après Les cousins, on a fait A double 
                    tour. Les extérieurs ont été tournés à côté d’Aix-en-Provence, 
                    et les intérieurs au studio de Boulogne. Pour le personnage 
                    joué par Antonella Lualdi, on a eu l’idée d’une maison japonaise 
                    posée dans un champ, en face de la demeure bourgeoise, afin 
                    d’appuyer le contraste. Avec Evein, on avait proposé cette 
                    idée à Chabrol qui l’avait accepté tout de suite : 
                    « Tiens c’est une idée. Je dirai qu’elle est la fille 
                    de l’ambassadeur au Japon ! ». Il faut dire 
                    que c’était facile avec Chabrol. Presque tout l’amusait, il 
                    n’avait pas d’idées arrêtées sur le décor, pas d’exigence. 
                   
                  
                     
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                  Alain Resnais est un réalisateur pour qui 
                    le décor a beaucoup d’importance, il prend beaucoup de temps 
                    pour trouver la bonne solution. Il regarde tout, demande des 
                    photos, donne souvent des informations très précises sur les 
                    personnages, et c’est important pour moi de savoir d’où ils 
                    viennent. Notre métier est aussi psychologique : comprendre 
                    les personnages et ce que le metteur en scène veut en faire. 
                     
                    Je pense beaucoup aux comédiens. Je me rappelle avoir fait 
                    un petit appartement pour La proie pour l’ombre. Quand 
                    Alexandre Astruc a visité le décor, il m’a dit : « C’est 
                    curieux, je ne vois pas du tout cet acteur là-dedans ! » 
                    En effet, j’avais fait le décor en pensant à un autre qui, 
                    entre temps, avait été remplacé. On a dû faire quelques modifications 
                    en catastrophe. 
                     
                   
                  Objectif Cinéma : 
                    Un autre de vos décors pour Chabrol, 
                    Landru, est délibérément stylisé. Quelle en est la 
                    raison ? 
                     
                    Jacques Saulnier : Parfois, 
                    un choix esthétique est amené par des contraintes financières. 
                    J’étais assistant de Max Douy sur Marguerite de la nuit 
                    (réal : Claude Autant-Lara, ndr), qui était un essai 
                    de rompre avec les décors réalistes habituels. Mais au départ, 
                    c’était pour tenir dans le budget du producteur qui n’avait 
                    pas un sou. Max a proposé de styliser de cette façon, en simplifiant. 
                    Et d’éviter ainsi la construction réelle, les portes, les 
                    détails... Autant-Lara, qui avait été décorateur dans les 
                    années 1920, a dit tout de suite oui. C’était dans l’esprit 
                    expressionniste de son époque, et le sujet du film - la légende 
                    de Faust - s’y prêtait tout à fait. 
                   
                  
                     
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                  Les décors stylisés sont très intéressants, 
                    mais on n’en fait pas suffisamment car les producteurs sont 
                    frileux. Dans Juliette ou la clé des songes, un décor 
                    de Trauner et mon second film en tant qu’assistant, on était 
                    aussi dans le fantastique. La fameuse forêt, avec ses immenses 
                    arbres en feuilles sur les plateaux de Boulogne, aurait pu 
                    être beaucoup moins réaliste, mais à l’époque on n’osait pas. 
                     
                    J’ai moi-même proposé plusieurs fois des décors qui s’éloignent 
                    du réalisme. Quelques fois, cela s’est fait, comme avec Mélo 
                    ou Landru. C’était aussi pour des raisons économiques. 
                    J’ai proposé ces décors 1914 très stylisés à Chabrol, que 
                    ça a beaucoup amusé, bien sûr. Et ils ont exercé une influence 
                    sur le ton du film, la mise en scène, le jeu des comédiens. 
                    Ce décor m’a valu d’excellentes critiques. 
                     
                     
                   
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