Objectif Cinéma : En
dehors de votre longue collaboration avec Alain Resnais, vous
avez travaillé également à plusieurs reprises pour Henri Verneuil,
Pierre Granier-Deferre...
Jacques Saulnier:
Ce métier est une succession d’expériences, chaque film est
différent du précédent. Mais c’est tellement plus facile de
travailler avec un réalisateur que l’on connaît, et pour lui
aussi. J’ai fait plusieurs films avec Granier-Deferre dont
j’aimais les sujets concentrés : La cage, Le chat…
Je n’ai eu aucun problème avec Verneuil qui était un très
bon technicien, aux sujets inégaux mais efficaces. Il s’intéressait
au décor, était vite d’accord avec ce que je proposais. Ses
scénarios étaient très bien écrits, et c’était important car
ainsi je comprenais bien la demande. Avec d’autres réalisateurs,
c’est différent. En faisant Un amour de Swann avec
Schlöndorff, j’ai su tout de suite que je ne retravaillerais
plus avec lui, et pourtant je l’avais bien connu quand il
était stagiaire sur L’année dernière à Marienbad.
Objectif Cinéma : Un
amour de Swann a remporté
le César du meilleur décor.
Jacques Saulnier : Je
l’ai donné à Philippe Turlure. En tant qu’ensemblier, c’est
lui qui le méritait. Sur ce film, de nombreux décors ont
été supprimés, et l’on a presque tout fait en décors naturels.
Parfois en faisant des aménagements idiots, comme pour la
maison d’Odette, tournée dans un petit hôtel particulier
à vendre dans le XVIè arr. Il fallait masquer des éléments
apparents, des commutateurs, etc, sans toucher aux murs.
On a dû faire le tour de la pièce avec des châssis à vingt
cm des murs, c’est revenu plus cher que du studio. J’ai
eu beau me battre, mais la productrice n’avait pratiquement
jamais fait de studio, donc elle en avait peur.
Dans Un amour de Swann, il aurait
fallu ressentir l’ambiance du Paris fin XIXème. Schlöndorff
m’avait dit : « Pour le Boulevard des Capucines,
on ne va pas le refaire, ça n’a pas bougé ». J’ai
dû l’emmener sur place pour qu’il convienne qu’au contraire,
ça avait bien changé et qu’il fallait le construire. Il
y avait 4 ou 5 jours de tournage prévus sur ce décor. Proportionnellement,
c’est la même durée - par rapport à la longueur du film
- que les scènes sur le fameux boulevard du Crime dans Les
enfants du paradis. Mais petit à petit, le budget se
réduisait, et Schlöndorff modifiait son scénario. C’est
dommage, cette séquence aurait beaucoup apporté au film.
Mais allez expliquer à un producteur que le coût d’un décor
n’est pas forcément proportionnel à la durée du tournage.
On nous dit : « Pour quelques jours, tu ne
vas pas nous embêter avec un gros décor ». Mais tout
dépend de ce qu’on tourne pendant ces trois jours !
Tout le monde se souvient du boulevard du Crime des Enfants
du paradis, et pourtant Marcel Carné n’y a tourné qu’une
semaine…