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Objectif Cinéma :
Dans les années 90, votre activité
s’est ralentie. Y a-t-il une raison précise ?
Jacques Saulnier : J’ai
fait quelques films dont on a peu entendu parler, comme
L’archipel et La voix, de Pierre Granier-Deferre.
Tous les gens de ma génération travaillent moins. Ce sont
les mêmes réalisateurs qui font appel à moi, ce ne sont
pas les jeunes. C’est logique, on ne parle pas tout à fait
la même langue. Peut-être croient-ils que je suis un vieux
monsieur respectable (rires), ou alors trop cher.
Il faut dire aussi que leurs films ont souvent moins de
décors.
Objectif Cinéma :
Avez-vous un décor dont vous êtes particulièrement fier
?
Jacques Saulnier :
J’aime bien Le voleur de Louis Malle, situé en 1900.
Le film et le décor vont bien ensemble. Mais pour parler
d’un décor, il faut laisser passer du temps, sur le coup
on ne voit pas bien. Il faut juger sur le film fini, car
un décor tout seul ne veut pas dire grand-chose.
J’ai fait des décors dont j’étais moyennement content mais,
bien éclairés, ils faisaient la blague. Quelqu’un comme
Sacha Vierny était un sacré opérateur. Et réciproquement :
dans Providence, il y avait un décor de nuit (le
décor de John Gielguld) où on ne voyait rien, Aronovitch
m’a dit par la suite « Là, je me suis trompé ».
Sur La vie est un roman, le chef opérateur ne s’en
est pas très bien sorti. Mais les rapports entre les décorateurs
et les opérateurs demanderaient aussi tout un roman…
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Objectif Cinéma :
Sur La vie est un roman,
le dessinateur Enki Bilal a contribué au décor.
Jacques Saulnier : C’était
une idée de Resnais, et il a insisté pour que l’on ne travaille
pas ensemble, il voulait superposer les styles après coup.
Resnais aime les mélanges, ça peut fonctionner ou bien déconcerter.
Bilal dessinait des vitraux, des colonnes… On faisait l’exécution
sur du verre et c’était ajouté au décor. On ne s’est pas
du tout concertés, on n’a pas la même formation. L’ensemble
était long et difficile à éclairer, le résultat était plutôt
bancal et Resnais a finalement supprimé beaucoup des glaces
peintes dessinées par Bilal.
Objectif Cinéma : Dans
Pas sur la bouche, le film que tourne actuellement
Resnais, comme dans Stavisky, La vie est un roman
ou On connaît la chanson, le décor principal est
un salon avec double hauteur, mezzanine, grand escalier…
Jacques Saulnier : Et
des colonnes, Resnais les aime beaucoup, je ne sais pas
bien pourquoi et lui non plus. Ce sont les scénarios et
le grand nombre de personnages qui exigent ces décors. Et
Resnais a tendance à concentrer, plutôt qu’à disperser.
Pas sur la bouche est une opérette écrite en 1925.
Le sujet est à la fois cruel et burlesque, la musique est
de Maurice Yvain, c’est assez risqué de faire ça aujourd’hui.
On a respecté l’époque, car Resnais n’aime pas moderniser
un sujet. Le décor a un côté volontairement théâtral qui
convient au sujet et au genre, on a fait imprimer des papiers
peints art-déco. Ce n’est pas un décor réaliste, mais quand
même moins stylisé que celui de Mélo.