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Le Monde vivant (c) D.R. (c) D.R.

Objectif Cinéma : La nouveauté de cette approche ne va pas sans provoquer de résistance, elle heurte le conformisme cinématographique, la conception moyenne, naturaliste et « psychologisante »…

Eugène Green : Parfois, il y a un malentendu et on pense que mes partis pris esthétiques relèvent de la position théorique, mais ce n’est pas le cas. Souvent aujourd’hui les artistes tiennent un discours et on voit autre chose à côté. Je suis arrivé au discours à partir d’un sentiment artistique que j’ai cherché à comprendre moi-même pour le transmettre aux acteurs et aux techniciens, puis éventuellement, après, pour en parler avec les spectateurs…Mais ce n’est pas une dissertation esthétique, je cherche des sensations.

Je me souviens que dans les années 70, quand j’allais voir des films de Bresson, j’ai pris l’habitude d’aller au cinéma à 10h du matin, quand il y avait peu de monde, car le soir les spectateurs soixante-huitards manifestaient bruyamment leur vertu face à cette esthétique scandaleuse.

A Cannes, certaines réactions m’ont un peu surpris ; par exemple lorsque des gens ont commencé à parler des Monty Python… Dans le Monde Vivant, il n’y a aucun élément de dérision ; je prends absolument au sérieux tous ces éléments, et il n’y a pas de second degré. C’est un film très sérieux, mais je vous demande de le regarder comme si vous étiez des enfants - les enfants sont plus mûrs que les adultes : ils n’ont pas encore intégré justement « les lois Jules Ferry », l’atticisme, et les « règles du bon goût »…

  Toutes les nuits (c) D.R. (c) D.R.

Les spectateurs qui n’adhèrent pas au film sont souvent victimes de leurs propres conceptions : ils disent « c’est contre les règles du cinéma de faire des champs et contre-champs systématiques », « c’est mauvais, c’est mal »… Lorsqu’on n’a pas aimé le film, ce que je conçois parfaitement, lorsqu’on n’a pas été touché ou ému, on peut émettre des critiques tout à fait recevables, mais c’est rarement en termes d’émotion que les adultes s’expriment, c’est plutôt en termes moraux : «Vous avez tort d’avoir fait telle ou telle chose », « le film comporte des éléments moraux négatifs », etc.

Les enfants, eux, ne réagissent pas du tout de cette façon. Plusieurs projections ont été organisées pour les enfants et j’ai pu constater qu’ils n’ont jamais de réaction morale ; ils sont curieux, ils posent des questions. Par exemple, ils demandent « pourquoi le lion est-il joué par un chien ? »… A chaque fois que l’un d’entre eux a posé cette question, avant même que je puisse répondre, leur instituteur leur a demandé «Qu’est-ce que c’est cet animal dans l’histoire ? » et ils ont toujours répondu : « Un lion ». Pour les enfants, c’est un lion. Simplement, ils me demandent pourquoi j’ai choisi de faire jouer le lion par un chien ou pourquoi j’ai fait jouer le bébé éléphant par cet autre animal…

Le film commence par une citation de Maître Eckard, et on peut y trouver des choses qui prêtent à réflexion, mais je pense qu’il faut entrer dans le film comme un enfant ; ça a toujours été ma posture en tant que spectateur du cinéma.