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Kevin Coyne (c) D.R.

Certes, je propose beaucoup de films avec des musiciens, mais la plupart ne sont pas essentiellement des films sur des musiciens. Par exemple, le film One room man de Boris Tomschiezek part d’une commande de performance adressée au chanteur Kevin Coyne. Coyne a choisi le dispositif, le lieu, le cadre, et il a décidé de s’exprimer. Il ne s’agit pas d’un décryptage ou d’une tentative de compréhension de sa musique. Le réalisateur ne s’est pas attelé à expliciter qui était Kevin Coyne, pourquoi il faisait cette musique. Il a donné champ libre à ce chanteur, qui a fixé des règles et qui a fait une performance poétique, autant parlée que chantée, jouée, et qui exécute quelque chose de l’ordre de la partition.

Dans ce film, on voit le rapport de Coyne à la musique, au monde, à la mort, et surtout à la folie, qui est très présente, presque palpable. On sent qu’il la tutoie en permanence, qu’il joue avec elle. Cela est très lié à sa solitude : One room man. C’est sa caverne, son ventre, sa propre bulle de folie.


Objectif Cinéma : Tout à fait. En ce sens, la musique est passage. Quand il prend la guitare, on a l’impression qu’il franchit un mur de pierre, qui serait peut-être les parois de sa propre folie. C’est-à-dire que si à un moment il n’a plus sa guitare, on sent qu’il s’effondre. La guitare lui permet de sortir de lui-même, de toucher quelque chose qui est de l’ordre de l’altérité. Et paradoxalement, il est beaucoup plus puissant, du point de vue émotionnel et du point de vue de sa présence, dans sa « room » que lorsqu’il est sur scène.

Laurent Ghnassia : Oui, c’est vrai. La première fois que j’ai vu le film, quand il passe sur scène, je me suis dit : « non, c’est pas possible, on ne le reconnaît pas ! » Et en même temps, le montage est fait de telle manière que ce passage du dedans au dehors est atténué : on dirait que la scène, c’est la pièce à côté. On le quitte dans le noir de sa room, et on le retrouve dans le noir sur scène, avec l’intensité de lumière des projecteurs qui augmente progressivement. Comme s’il avait été dans une antichambre, comme si cette bulle de folie avait été l’antichambre de quelqu’un qui n’est plus lui, qui est juste son image, sa marionnette, son fantôme, son icône. On se dit « mince ! il a un rapport si fort à la performance musicale et, une fois sur scène, ce n’est plus que ça ? ! ».


  Daniel Johnston (c) D.R.

Objectif Cinéma : Quittons Kevin Coyne pour parler de Daniel Johnston, le chanteur qui évolue dans King Kong (2001), le film de Peter Friedl. Il y a quelque chose de très similaire chez ces deux chanteurs : leur corpulence, le grain, la hauteur et le ton mélancolique, presque plaintif de leur voix.

Laurent Ghnassia : Oui. Il y a quelque chose dans la voix, une sorte de résignation dans la posture aussi de Daniel Johnston, complètement recroquevillé sur lui-même, un mélange de tristesse et de fatalisme qu’on peut aussi retrouver dans One plus one : la manière dont les Rolling Stones répétent leurs morceaux, comme quelque chose qui les guide malgré eux, qui les fait avancer dans la construction de ce morceau vers sa fin, comme s’il n’y avait pas d’autre choix que d’arriver à l’endroit où ils vont.

Dans ce film, il y a une dimension poétique très forte. La chanson, c’est l’histoire de King Kong, cet être monstrueux mais doté de sensibilité et d’amour, incompris par l’autre, qui monte en haut d’une tour pour aller chercher sa belle et qui en retour ne reçoit que la mort. Tout ceci mis en relation avec le lieu où cette chanson lancinante est chantée : un parc de Johannesburg. C’est donc aussi un endroit qui parle de l’appartheid, qui parle de l’exclusion… Tout ceci est mêlé.

Au début, je voulais passer King Kong dans la même séance que le film de Godard. En raison du dispositif. One plus one est une série de longs plans panoramiques sur les Stones en scène. De même, King Kong est montré pour la première fois en salle. Cela a été une longue négociation avec l’artiste autrichien Peter Friedl. C’est une pièce qui est originellement faite pour passer en boucle, installée sur un grand écran au milieu d’une pièce, autour duquel on peut tourner. Et quand on voit le film en salle, ce mouvement perpétuel est retranscrit par une suite de plans panoramiques même si, malheureusement, on perd l’effet de boucle.